Sociétés, Sensibilités, Soin
Responsables : Cécile Pichon-Bonin (CR CNRS, histoire de l’art) et Guillaume Coqui (Mcf, philosophie)
Les arts et la culture constituent les prismes privilégiés d’une compréhension fine des sociétés, passées et actuelles. Ce pôle regroupe les projets par lesquels les différentes disciplines présentes au sein du laboratoire – anthropologie, histoire, histoire de l’art, musicologie, histoire du droit, philosophie et sociologie – s’en saisissent. Les corpus, les thèmes et hypothèses de recherche sont pensés sur une vaste échelle temporelle et spatiale incluant la France, l’Europe continentale, les Amériques, l’Asie, mais aussi des objets – notamment en philosophie – moins situés, géographiquement et historiquement. Pour rappel, le pôle 1 s’inscrit dans l’axe « Patrimoines et territoires » de l’Université de Bourgogne. À travers des approches interdisciplinaires et épistémologiques variées, une attention particulière est accordée aux objets considérés comme artistiques ou, au contraire, se trouvant hors des hiérarchies traditionnelles ; aux agents de la création et aux circulations des biens, des pratiques et des personnes. Les axes de recherche interrogent la matérialité, les gestes, les conditions et les modalités du « faire », l’élaboration des statuts et des processus de reconnaissance et de valorisation.
Axe 1. L’objet
Cet axe de recherche s’inscrit dans le développement des études sur la culture matérielle et l’histoire de la matérialité. Il articule l’étude et la connaissance des objets du point de vue de leur réalité tangible à des problématiques d’ordre théorique et historiographique. On s’intéresse ici à la matérialité et aux objets, à leur circulation dans le temps et l’espace, aux processus et modes de fabrication et de modification ou encore au travail sous ses aspects théoriques et pratiques, sans omettre les questions posées par la constitution du concept même d’objet. L’histoire de l’objet livre et celle de l’objet tableau (sous l’angle de l’organisation de la surface, des limites et du format) sont par exemple abordées. Une attention particulière est portée à l’analyse des circulations et des transferts (culturels, artistiques ou autres) à une échelle multiscalaire, nationale et internationale, entre centre et périphérie.
Cet axe contribuera également à renouveler l’approche du patrimoine en Bourgogne et Franche-Comté par une perspective pluridisciplinaire à tout le moins entre histoire et histoire de l’art. Il s’agira de réfléchir à nouveaux frais sur les modalités de la production artistique notamment les décors, les objets d’art ou encore les festivités en isolant particulièrement le rôle des pouvoirs politiques – pouvoir monarchique et pouvoir des corps intermédiaires – dans les encouragements artistiques et dans l’embellissement des villes et plus largement du territoire. Cette réflexion pourra être élargie à l’échelle nationale, notamment avec des provinces dont le profil institutionnel était différent afin de faire émerger les éventuelles singularités.
En ce qui concerne à présent la dimension épistémologique, les Cahiers Gaston Bachelard explorent les différentes facettes de notre relation aux objets, qui peuvent se situer sous le signe de l’imaginaire ou de la rationalité. Le Centre nourrit plus spécifiquement une réflexion épistémologique sur la spécificité des objets scientifiques, qui sont tout à la fois des objets de pensée, définis par des théories, et des objets matériels, produits par des techniques. Il mobilise pour cela les ressources complémentaires de l’histoire, la philosophie et la sociologie des sciences et des techniques. Enfin, le LIR3S contribue à la valorisation scientifique des archives que Bruno Latour a déposées aux Archives municipales de Beaune. L’objectif d’en faciliter l’accès à la communauté scientifique internationale en passera vraisemblablement par un projet de numérisation en partenariat avec la MSH de Dijon. L’étude de l’œuvre et des archives de Bruno Latour permet notamment d’interroger plusieurs évolutions importantes de la notion d’objet, sous l’angle de la nouvelle forme de constructivisme qu’il a élaborée avec Steve Woolgar dans l’étude des objets scientifiques, ou de la théorie de l’acteur réseau qu’il a développée avec Michel Callon pour dépasser la division entre objets humains et non-humains.
Axe 2. Mineur : rejets, circulations, reconnaissances
Dépassant les hiérarchies conventionnelles, esthétiques et autres, entre high et low art par exemple, cet axe de recherche s’intéresse à des objets jusqu’alors peu valorisés, parce qu’ils s’adressent à un public peu considéré comme les enfants, parce qu’ils relèvent de pratiques populaires en totalité ou en partie, parce qu’ils se situent à la marge d’une industrie dominante. Il s’agit aussi d’associer de nouvelles approches visuelles et matérielles et de considérer des thèmes iconographiques n’ayant fait l’objet d’aucun regard comme la représentation du fœtus humain, dans les planches anatomiques et les représentations en 3D (figures de cire, mannequins).
L’étude porte aussi bien sur les modalités de production, de diffusion, d’usage (pratique et symbolique) et d’institutionnalisation de ces objets que leur réception et leurs fonctions. Les dynamiques de pouvoir sont donc également concernées par l’analyse. Cet axe invite à envisager de manière nouvelle des problématiques existantes, en interrogeant notamment les notions de « patrimoine » et de culture « populaire », « visuelle », « de masse » – en soi et en examinant leurs interrelations.
Enfin, cet intérêt porté aux objets dits « mineurs » s’exprime à travers des approches interdisciplinaires innovantes, comme celle associant histoire des émotions et études de la culture visuelle enfantine ou la démarche articulant l’histoire de l’art, la muséologie et les études visuelles au service d’une anthropologie historique du regard.
Axe 3. La création : métiers, normes et pratiques
Cet axe de recherche étudie les différents aspects du métier, de la profession de créateur, du statut et de l’identité de l’artiste et de l’artisan. Sont ici examinés le cadre juridique, la rémunération, la formation, les pratiques professionnelles, les représentations visuelles et imaginaires, relatifs aux différents domaines de la création artistique et artisanale.
Ce champ requiert des démarches interdisciplinaires pour associer l’histoire du droit, de l’art, l’histoire sociale, économique et politique et la philosophie de l’art. Il interroge le geste créateur, la place et le rôle de l’auteur, les éléments de reconnaissanc, et intègre l’analyse de la transmission des connaissances, savoir-faire, croyances, valeurs, normes et modèles de comportements, en examinant les lieux, canaux, vecteurs et acteurs de cette transmission.
L’étude de l’enseignement de l’art en France y est notamment abordée du point de vue de la transmission des contenus, des gestes et des imaginaires. Les écoles et les départements universitaires d’arts plastiques sont à la fois des zones protégées et des champs de bataille. Espaces et temps de maturation, on y apprend à perfectionner ses gestes et sa pensée, dans un va-et-vient constant entre l’exigence des normes, des attendus et celle que l’on se doit à soi-même. Les temporalités s’y entrechoquent, les regards, les mains, se fabriquent par étonnement et acquisition de familiarité. Les générations s’y rencontrent, les savoir-faire y sont mis à l’épreuve de dispositifs et d’enjeux nouveaux, et la création s’y appréhende véritablement comme une pratique, vécue et continue, davantage que comme le moyen de constitution d’une œuvre. Les écoles d’art et les universités sont le théâtre d’expérimentations situées hors du marché et réservées à un public de pairs. Ce sont aussi des lieux de confrontations formatrices, de fabrique de hiérarchies via l’exercice constant de la comparaison. Les rapports qui s’y jouent entre groupe et individu s’analysent de manière pluridisciplinaire. Ils mettent en effet en jeu des éléments d’ordre sociologique, historique, économique, politique, philosophique, domaines réunis au LIR3S dans le pôle 1. En interrogeant ce que transmettent ces écoles et dans quel système référentiel elles se trouvent prises nous montrons de quelle manière leur développement a accompagné et dans une certaine mesure préparé la modification du métier d’artiste et de la pratique artistique elle-même.
Responsables : Odile Roynette (Pr, histoire contemporaine) et Jérôme Loiseau (Pr, histoire moderne)
L’objectif de ce pôle est de poursuivre et d’approfondir l’étude, engagée au cours du précédent contrat, des dynamiques sociales, des pratiques des catégories populaires et des conflictualités. Les mondes et pratiques populaires s’envisagent du point de vue de leurs membres, de celles et ceux qui embrassent leur cause et se présentent comme leurs porte-parole, mais aussi du point de vue des institutions de contrôle (élites et pouvoirs publics). Cet élargissement du regard doit permettre de mieux cerner l’adhésion à l’ordre dominant, mais aussi les mésusages, détournements et contournements des dispositifs d’encadrement, comme les manifestations de scepticisme, de résistance et d’opposition, dont les mouvements politiques et sociaux constituent la forme la plus visible.
Une attention particulière sera portée aux effets, ressources et contraintes matérielles des dynamiques sociales et des conflits : rapports aux mondes matériels (l’habitat, les moyens de transport, mais aussi les milieux physiques, techniques et naturels) des acteurs en situation de travail ou de hors travail, et notamment tout ce qu’il y a à gagner ou à perdre de la reproduction ou de la transformation de conditions matérielles d’existence subies plus que choisies et de rapports sociaux vécus au jour le jour, rapports de domination, de hiérarchie et de dépendance ou moments d’entre soi.
Axe 1. Travail et hors-travail
La question du travail demeure un terrain d’investigation fondamental pour penser les dynamiques sociales et l’expérience des milieux populaires, comme les liens qui se tissent entre les sociétés et les acteurs humains et les milieux physiques et vivants. Comment les activités de travail forment-elles des milieux de vie et de quelles façons les activités productives transforment-elles et modèlent-elles les environnements via les infrastructures qu’elles créent ou adaptent à leurs exigences, les nuisances, déchets, pollutions et flux de matière qu’elles impliquent ? Comment la prétention à l’optimisation économique bataille-t-elle, en situation, avec l’expérience par les travailleurs subalternes d’une démesure du travail ?
Par ailleurs, à l’heure de l’anthropocène, de nombreux travaux s’efforcent de mettre le vivant au cœur des systèmes économiques dont il avait été exclu, aboutissant à de nombreux débats sur le travail de la nature et la production de la valeur, sur la nécessité de repeupler les mondes du travail de ses acteurs négligés, à l’instar des animaux longtemps essentiels, ou encore sur la question de la rémunération pour ces services – au risque de la marchandiser encore davantage.
Cet axe examine enfin les questions théoriques et méthodologiques soulevées par une approche environnementale du travail qui ne séparerait plus l’intérieur et l’extérieur de l’atelier, de l’usine ou du bureau, mais tenterait de les penser ensemble. Comment appréhender les rapports entre le travail et ses entours extra-professionnels et caractériser des formes de vies dominées (« genre », « style », « conditions » de vie, « manières d’habiter ») ainsi que les tentatives de les aménager et améliorer ? Il s’agit à la fois d’explorer les enjeux liés à la santé au travail, aux risques pluriels qui accompagnent toute activité productive, à la matérialité des processus de socialisation, en explorant l’impact des nouvelles formes d’organisation, les débats qui accompagnent les changements techniques, les enjeux soulevés par la numérisation dans la continuité des vagues anciennes d’automatisation.
Axe 2. Normes, contestations, politisation
Héritant d’un important travail sur les organisations syndicales et politiques (notamment autour des gauches européennes, partis, syndicats, coopératives), puis des recherches sur les conflits sociaux, cet axe se propose de poursuivre les travaux entrepris grâce à l’apport de nouvelles archives et l’exploration de nouveaux terrains, comme les conflits environnementaux autour de l’usage des ressources, de la dégradation de certains milieux et ceux qui y vivent. Il s’agira notamment de penser les formes multiples par lesquelles des acteurs s’associent pour œuvrer ensemble au service de causes s’inscrivant le plus souvent dans une perspective critique voire oppositionnelle que l’histoire et la sociologie, attentives aux apports de l’anthropologie, doivent continuer à analyser.
L’exploration de corpus inédits offre des pistes de comparaisons, à différentes échelles, mais aussi la possibilité de penser au mieux les circulations. Les réfugiés, les militants, les persécutés qui se déplacent, non seulement en Europe, mais aussi sur d’autres continents, invitent par exemple à penser le rôle des « permanents » politiques, des cadres dans une approche prosopographique et comparative, mais aussi les violences physiques, corporelles et les mutations des répertoires d’action collectives qui accompagnent les formes d’expressions conflictuelles. Dans cette perspective, la question de la politisation, notamment à travers l’histoire des socialismes et des communismes des XIXe et XXe siècle reste un angle fort qui demeure au cœur des perspectives de cet axe.
Une attention particulière sera portée aux effets, ressources et contraintes matérielles des dynamiques sociales et des conflits : rapports aux mondes matériels (l’habitat individuel ou collectif, la voiture et les transports en commun, mais aussi les infrastructures et milieux physiques et naturels) des acteurs en situation de travail ou de hors travail, et plus particulièrement aux « enjeux du quotidien ». Cet oxymore nous invite à dépasser l’apparente banalité – l’apparente fatalité – de tout ce qui relève de la vie de tous les jours, de tout ce qui semble ordinaire, habituel, routinier, répétitif, pour saisir ce qu’il y a à gagner ou à perdre de la reproduction ou de la transformation de conditions matérielles d’existence subies plus que choisies et de rapports sociaux vécus au jour le jour, rapports de domination, de hiérarchie et de dépendance ou moments d’entre-soi davantage générateurs de solidarité et de convivialité.
Axe 3. Conflits armés : mobilisation, démobilisation, mémoire
Ce troisième axe se propose d’étudier les conflits armés et notamment les processus de mobilisation (appel, volontariat) et de démobilisation qui touchent tout particulièrement les catégories populaires, et forment le socle à partir duquel les forces armées, officielles ou clandestines, se constituent et entrent dans des processus de socialisation et des apprentissages reçus très diversement, entre adhésion, accommodement et rejet.
Il s’agit de contribuer à une meilleure connaissance des expériences liées à la confrontation au fait militaire et guerrier, ce qui implique d’accorder une attention soutenue non seulement aux processus de socialisation induits par les effets de la mobilisation, aux différents statuts sous lesquels hommes et femmes sont mobilisé.es (volontaires, appelés, humanitaires, civils en armes), aux conséquences physiques et psychologiques de l’implication et de la confrontation aux violences de guerre ainsi qu’aux moyens mis en œuvre pour les énoncer, les dénoncer et les dépasser. L’objectif est aussi d’élargir plus nettement le cadre chronologique de l’enquête, en amont vers l’époque moderne et le XIXe siècle, mais aussi vers l’aval, en s’intéressant aux conflits armés du XXIe siècle.
Il s’agira aussi d’étudier les processus de reconstruction de la communauté meurtrie et notamment de réparation au sens large (économie morale de la reconnaissance, indemnisations, réparations, restitutions, amnisties, procédures de justice) qui travaillent les sociétés au sortir du cycle guerrier. La dialectique de la mémoire et de l’oubli, la mise en évidence de « régimes de mémoire » propres aux différents conflits analysés permettront de mieux cerner l’impact de l’évènement guerrier dans les trajectoires individuelles et collectives.
Une attention particulière sera portée à la dynamique des dispositifs restaurateurs (symboliques, matériels, judiciaires), depuis leur configuration jusqu’à leur concrétisation. Par ailleurs ces dispositifs s’entendent à l’échelle transnationale : l’expérience de la guerre dépasse les frontières tout autant que les modalités d’appréhension de ses conséquences. Déploiements et réappropriations nationales ou locales par les communautés seront ainsi étudiés.
Responsables : Virginie Dejoux (Mcf, démographie) et Jean-Philippe Pierron (Pr, philosophie)
La notion de vulnérabilité s’applique à des individus ou des groupes sociaux qui se trouvent dans une situation de risques prononcés par rapport à une situation de référence (politique, sanitaire, environnementale, géographique, historique…) qui est, elle, considérée comme relevant de la normalité. L’étude de la vulnérabilité se trouve au croisement de plusieurs disciplines, et les membres du pôle 3 y contribuent en conjuguant les ressources de la philosophie, de l’histoire, de la sociologie, de l’anthropologie et de la démographie. Ces recherches s’attachent particulièrement à monter que, plus qu’un état, la vulnérabilité désigne un processus de vulnérabilisation se déployant le plus souvent selon plusieurs dimensions synchroniques dont la nature peut varier : un faisceau de facteurs combinés peuvent conduire un individu, un groupe ou une population à devenir vulnérable et à se penser tel. Elles étudient cependant également la manière dont ce processus de vulnérabilisation est le plus souvent nié ou minimisé, excepté pour une frange jugée marginale de la population. Elles montrent, ce faisant, que la notion de vulnérabilité revêt des enjeux éthiques et politiques majeurs, dans la mesure où l’identification d’individus, de groupes ou de populations en situation de vulnérabilité conduit à reconnaître leurs difficultés, mais peut également participer à leur stigmatisation.
Le pôle « Ethique et vulnérabilité » entend prolonger ces réflexions sur les processus de vulnérabilisation engagées dans le précédent contrat, en étudiant notamment la manière dont ils peuvent s’articuler à des processus de pathologisation. Ceux-ci conduisent à considérer les expériences des individus comme des pathologies qui requièrent une surveillance ou une intervention. Notre projet sera également d’élargir ces réflexions à l’étude de la toxicité des environnements : il s’agira de voir si la prise en compte des risques environnementaux modifie les conceptions de la vulnérabilité, en se demandant, par exemple, si les risques environnementaux nous placent dans une situation inédite en ce qui concerne la nature et l’ampleur des risques encourus, les modalités d’identification des personnes qu’on considère comme vulnérables, et les réponses qu’on peut apporter aux situations de vulnérabilité environnementales.
Il s’agira également, ce faisant, de renforcer les dimensions historique et épistémologique des recherches sur la vulnérabilité : on étudiera ainsi diversité des procédures qui président à l’évaluation des risques encourus par une personne ou une population, les raisonnements par lesquels on justifie l’assignation du statut de personne vulnérable, ainsi que la manière dont ces diagnostics s’articulent à des prises de positions sur la manière dont il convient d’agir face à ces situations de vulnérabilité.
Axe 1. Penser et construire les figures de la dépendance
La notion de vulnérabilité est marquée par une forme de pluralité qui se traduit autant dans ses définitions que dans les objets qu’elle recouvre ou même dans les enjeux qui lui sont afférents. Il s’agit dès lors de réfléchir à des objets communs à construire et non pas admis comme des acquis dans les études portant sur le handicap, les situations médicales extrêmes (état pauci-relationnel, coma dépassé, fin de vie) et le grand âge. Tout cela doit se faire sans déconsidérer par principe les personnes concernées : ainsi, s’agissant de la dépendance, une dépendance physique quasi complète peut se doubler d’une indépendance dans la réflexion et la création. Inversement, existent des formes de dépendance courantes et invisibles chez les individus jugés valides : dépendances à la relation, à la valorisation sociale, à la consommation et à un certain niveau de vie (mises en valeur par la crise de la COVID).
Les catégorisations ou pathologisations sont en réalité construites, elles ont des conséquences politiques qui déprécient certaines populations. L’analyse de la dépendance peut interroger les imaginaires et les identifications ; elle peut aussi étudier les définitions et mesures qui qualifient ou disqualifient, en interrogeant les situations liées aux différents âges de la vie (dont le caractère est arbitraire, la dépendance physique ou la perte cognitive pouvant être précoces). L’apport des personnes concernées, dans la perspective des disability studies anglophones, est indispensable pour envisager ces notions de dépendance ou d’autonomie, dont le contenu peut être largement biaisé par le regard de ceux qui se pensent valides. Ainsi l’autonomie est toujours socialement relationnelle.
Axe 2. Approches des vulnérabilités
La vulnérabilité peut rendre compte de l’ensemble des facteurs qui constituent la fragilité d’une société, d’un territoire, d’une population, d’une structure, d’un écosystème, d’une organisation. Elle peut également faire référence à des disparités sociales (pauvreté, exclusion, relégation spatiale…), à des catégories évolutives d’âge ou de santé (vieillesse, maladie, handicap…), à des déséquilibres conjoncturels ou systémiques (économiques, environnementaux, psychologiques). Les environnements matériels, institutionnels et humains sont envisagés comme des barrières ou comme des forces de contraintes car les publics vulnérables (âgés ou handicapés par exemple) en sont les victimes, du fait de l’organisation spatiale d’une ville ou d’un logement, et parce qu’accompagnants et personnes vulnérables ont des temporalités distinctes. Ruptures de rythme, différences de vitesse ou discontinuités dans l’accompagnement relèvent de la rythmanalyse. Ces contraintes, fondamentales dans l’accompagnement, sont généralement peu perçues.
Dans ce champ, il est prévu d’analyser le continuum d’accessibilité nécessaire pour tout déplacement d’une personne physiquement dépendante et les contraintes qui en découlent : l’improvisation est impossible lorsque l’on dépend d’autrui. Une attention sera portée aussi sur l’évolution de la mobilité quotidienne des personnes vulnérables, en particulier suite à la pandémie d’une part, et chez les personnes vivant dans les zones périurbaines et rurales d’autre part.
Axe 3. Bioéthique et vulnérabilités environnementales
En redéployant le concept de bioéthique, il s’agit de développer les thématiques des humanités environnementales et médicales (adossées au master 2 Humed – Humanités médicales et environnementales – formant de futurs chercheurs), de donner de la consistance au pluralisme méthodologique exigé par la saisie en complexité de la crise climatique et environnementale au regard de ses enjeux politiques, sociaux et culturels. Cette crise invite à investir des dimensions transversales des vulnérabilités et à les problématiser en termes de reconnaissance d’injustice et de demande de justice.
Les humanités environnementales et médicales sont un champ encore à l’état inchoatif, dont le statut épistémologique est à explorer comme une anthropologie de l’humain vulnérable et à expérimenter via des enjeux de sensibilisation et de formation : penser la situation de l’anthropocène et les réponses qu’on peut y apporter requiert l’élaboration d’une anthropologie générale et d’une philosophie empirique, qui mobilisent, dans leurs dialogues avec les savoirs des sciences dites de la nature, toutes les disciplines des SHS, notamment le droit de l’environnement, les littératures écocritiques, la musicologie et l’histoire de l’art, l’histoire ou les sciences de l’information et de la communication.
Une manière d’envisager ces questions sera de se concentrer sur les jeunes générations, un autre public dit vulnérable, en insistant sur le thème de la transmission et du devenir de l’attention, ce qui permettra d’interroger les conditions de possibilité d’une écologie de l’attention au regard de l’expansion du numérique et du consumérisme.
Responsable : Isabelle Marinone (Mcf, histoire du cinéma)
Depuis le janvier 2012, le LIR3S organise des journées d’études consacrées à une thématique transversale. L’objectif est double : en premier lieu, créer un lieu d’échange et de discussion entre doctorants et chercheurs confirmés ainsi qu’entre les différentes disciplines représentées au sein du LIR3S ; en second lieu, permettre à chacun de présenter ses recherches et de les mettre en débat au sein de l’équipe.
- Atelier d’écologie politique « Penser les transitions »
Responsables : François Jarrige (Mcf, histoire)
Depuis les années 1980, des mots nouveaux prolifèrent et recomposent en profondeur le langage politique comme celui des sciences sociales. Le concept de transition est de ceux-là. Comme « risque » et « développement durable », ces notions profondément ambiguës ont conquis en quelques années une audience considérable. La transition peut être démographique, démocratique, écologique, énergétique ou sociale. La prolifération de l’idiome des transitions accompagne l’émergence d’une nouvelle conception du changement socio-historique et interroge en profondeur les trajectoires de la mondialisation, du capitalisme et de son appareillage technoscientifique…