Nouveaux territoires des mondes de l’art et de la culture

Enjeux politiques et échelles territoriales

Alain Chenevez et Fabrice Raffin [dir.]


APPEL À CONTRIBUTIONS

DL : 30 janvier 2025


Argumentaire

Dans le cadre d’une publication prévue pour 2025 et pour faire suite à un séminaire co-organisé par l’Université de Bourgogne (LIR3S-UMR7366) et l’Université d’Amiens (Habiter- Monde/EA87) sur les territoires de l’art et de la culture, nous invitons les chercheurs, dans une perspective interdisciplinaire, à explorer la dynamique complexe entre la culture et la politique à travers différentes thématiques et échelles territoriales. Depuis les années 1980, les stratégies culturelles ont été développées au niveau étatique comme à celui des collectivités territoriales, tantôt pour valoriser économiquement les villes et augmenter leur attractivité, tantôt pour répondre à des enjeux sociaux (Ambrosino & Guillon, 2014). Jusqu’à aujourd’hui, où on attend de la culture une participation à la transition écologique et des réponses aux enjeux numériques (Bouquillion, 2020). Ces différentes attentes posent des questions profondes sur les objectifs des politiques culturelles et sur les formes d’instrumentalisation politiques qu’elles ne manquent pas de générer (Saez & Saez, 2012). Mais aussi, sur les formes culturelles et artistiques qui naissent de ces interactions avec le politique en relation avec les dynamiques socio-économiques, urbaines et régionales.

En s’appuyant de préférence sur un lieu ou un collectif ancré sur un territoire, l’objectif des articles sera de comprendre comment ces interactions ont façonné des actions collectives (Becker, 1988) culturelles spécifiques tant en termes d’espaces, d’organisations ou de formes esthétiques. Nous cherchons à mettre en lumière les défis et opportunités que rencontrent les organisations culturelles face aux pressions sociales actuelles, notamment l’économique et le social, mais aussi l’écologie et l’aménagement urbain (Béal & Rousseau, 2022).

Ces interactions entre culture et politique sont multiples et peuvent être envisagées à travers plusieurs prismes spécifiques. Afin de mieux cerner ces dynamiques, nous proposons sans être exhaustifs de structurer cette réflexion en examinant différentes formes d’instrumentalisation, coopérations, hybridations politiques de la culture. Ces axes incluent des dimensions économiques, sociales, écologiques, urbaines, numériques, politiques et esthétiques.

Axe du développement économique

Les politiques culturelles représentent un levier supposé pour le développement économique des territoires urbanisés. En favorisant la création artistique et la diffusion culturelle, elles contribuent à l’émergence d’une économie créative, génératrice d’emplois et d’investissements (Florida, 2019). Ces politiques visent à valoriser les ressources culturelles locales pour en faire des moteurs de croissance. Parallèlement, la culture renforce l’attractivité des villes et des régions, notamment par le biais d’événements et d’infrastructures culturelles, dans un contexte de concurrence mondiale accrue (Foster, 2021). Cependant, à l’ère de l’anthropocène, où l’attractivité des métropoles est remise en question face aux enjeux environnementaux et à la désertification de certains territoires, ces stratégies, telles que celles des « Creative Cities », font l’objet de critiques croissantes (Harvey, 2010). Il devient donc essentiel d’interroger leur pertinence, leur capacité d’adaptation et leur transformation possible, en réponse aux nouveaux défis du développement durable et aux revendications portées par les récents mouvements sociaux (Latour, 2021) ou des habitants soucieux de se faire entendre à l’ombre du patrimoine (Marchal, 2024).

Axe social 

Les politiques culturelles sont déployées comme des leviers pour promouvoir l’inclusion sociale, en encourageant la participation de tous et en facilitant l’accès à la culture afin de renforcer les liens sociaux (Bennett, 2022). En s’adressant particulièrement aux populations marginalisées et éloignées des pratiques culturelles traditionnelles, elles visent à promouvoir la cohésion sociale à travers la création d’espaces de dialogue et de partage, tout en consolidant les identités locales. Cependant, bien que les droits culturels occupent une place croissante dans ces politiques, avec l’objectif de rendre la culture accessible à tous et de valoriser la diversité des pratiques, il convient de questionner la portée réelle de ces initiatives. Remettent-elles véritablement en cause les hiérarchies de légitimité culturelle, ou sont-elles des instruments d’hyper-instrumentalisation (Saez, 2022)?

Axe écologique

L’intégration de la transition écologique dans les stratégies culturelles n’est plus simplement une option, mais une véritable injonction pour les établissements et projets culturels. Cependant, beaucoup de ces lieux ont été conçus et développés à une époque où l’énergie semblait abondante et sans limite, rendant aujourd’hui leur adaptation particulièrement complexe (Moss, 2023). Ces institutions se trouvent désormais confrontées à des exigences de gestion responsable des ressources, de production durable et de sensibilisation aux enjeux environnementaux, mais cette transition est souvent freinée par des infrastructures inadaptées aux nouvelles normes écologiques. Parallèlement, les pratiques artistiques évoluent vers l’éco-conception, avec un recours croissant à des matériaux durables et une éco- responsabilité accrue dans la gestion des lieux et des événements (Brown & Szeman, 2020). Si la réduction de l’empreinte écologique, par la baisse des consommations énergétiques et une meilleure gestion des déchets, est perçue comme une contribution essentielle à la transition écologique, la réalité pour de nombreux établissements demeure bien plus complexe. Ces transformations soulèvent donc des interrogations: le secteur culturel est-il réellement en capacité d’être un moteur d’innovation écologique, ou ces efforts se heurtent-ils à des difficultés structurelles, conduisant parfois à des pratiques qui relèvent davantage du greenwashing?

Axe aménagement urbain

Les lieux et projets culturels sont souvent instrumentalisés dans la perspective d’une revitalisation des espaces urbains, notamment dans les quartiers en déclin et les friches industrielles (Raffin 2007). Ces initiatives redonnent vie à ces lieux en les transformant en pôles d’attraction pour artistes et créateurs, tout en facilitant leur réappropriation par les communautés et habitants (Eveno, 2018). Parallèlement, de nouvelles centralités culturelles émergent en périphérie, décentralisant ainsi l’offre culturelle des centres- villes et rééquilibrant l’accès à la culture (Clément & Valegeas, 2017). L’art dans l’espace public devient un puissant vecteur d’expression citoyenne, interagissant avec l’environnement urbain et modifiant les perceptions et usages de la ville. Toutefois, il est essentiel de s’interroger sur la réception de ces œuvres par les habitants et sur leur signification sociale ou politique, et même sur les caractéristiques des publics participants à ces formes artistiques. L’art public est-il un outil de ré-enchantement de l’espace urbain, de marquage symbolique ou contribue-t-il à une appropriation marchande et politique de ces lieux?

Axe numérique 

La révolution numérique a profondément redéfini les politiques culturelles, transformant les modes de création, de diffusion et d’accès à la culture (Laachi, 2023). Les infrastructures numériques sont désormais un vecteur central, soutenant l’innovation tout en élargissant l’accessibilité (Castells, 2020). Si le numérique ouvre des perspectives inédites pour les créateurs, notamment à travers la numérisation du patrimoine, l’expérimentation artistique ou l’élargissement des publics via le streaming, la réalité virtuelle ou les outils collaboratifs (Holden, 2020), il s’inscrit également dans une économie de l’attention dominée par des logiques consuméristes et non durables (Citton, 2014). Cette transformation soulève d’importants défis, tels que la régulation des droits d’auteur et la fracture numérique, qui risquent d’accentuer les inégalités d’accès aux nouvelles formes culturelles, tout en favorisant des pratiques avant tout dictées par un univers communicationnel consumériste (Chenevez, 2024).

Axe politico-esthétique

Les relations que les artistes entretiennent avec les pouvoirs publics, souvent teintées d’une forme de dépendance financière, orientent inévitablement les esthétiques financées par les fonds publics vers les intérêts des commanditaires. Ces collaborations, ou parfois ces contraintes, posent une question centrale: celle de la liberté de création. Que devient cette liberté quand elle est soumise à des injonctions socio-économiques? Quelles formes nouvelles, quels processus de création inédits naissent de cette relation aux politiques publiques? Et surtout, quelle figure de l’artiste émerge de cette interaction, tiraillée entre l’instrumentalisation et la coopération? Ces questions révèlent les tensions et les paradoxes qui façonnent le paysage contemporain de l’art engagé dans la sphère publique et en relation avec les formes économiques dominantes.

Cet appel à communication s’inscrit résolument dans une perspective interdisciplinaire, en explorant la complexité des dynamiques liant culture, société et technologie. En prenant en compte les limites des approches mono-disciplinaires et en croisant des perspectives variées (socio-anthropologie, urbanisme, études culturelles, info-com, etc.), cette démarche permet de dépasser les analyses cloisonnées pour mieux appréhender les évolutions des politiques publiques face aux enjeux contemporains (Hadley & Gray, 2017). Elle éclaire également la redéfinition des territoires culturels, qu’ils soient urbains ou ruraux, en tenant compte des contextes socio-économiques, écologiques et technologiques, ainsi que des interactions souvent non linéaires entre ces dimensions. Nous attendons des propositions qui mettront en lumière ces configurations entre culture, société et technologie, tout en interrogeant les redéfinitions en cours du rapport nature/culture. Les recherches devront aussi se pencher sur la transformation des territoires culturels, qu’ils soient urbains ou ruraux, centraux ou marginaux, afin de mieux saisir les reconfigurations en cours (Saez & Saez, 2012)

Modalités de soumission

Soumission des intentions d’article (max. une page): 30 janvier 2025

  • Retour aux auteurs et autrices: 1er avril 2025
  • Pour les propositions retenues, l’article complet (35 000 signes max espaces compris) devra être soumis avant le 25 août 2025
  • Après une évaluation en double aveugle par les pairs, la version finale des articles sélectionnés sera attendue pour le 1er novembre 2025

La publication de l’ouvrage est prévue pour fin 2025 ou début 2026.

Pour soumettre vos propositions ou pour toute information, veuillez contacter: alain.chenevez@u-bourgogne.fr & fbraffin@gmail.com.

Comité de pilotage

Alain Chenevez & Hervé Marchal (Université Bourgogne Europe) et Fabrice Raffin (Université Jules Verne)

Bibliographie indicative

  • Ambrosino, C., & Guillon, V. (2014). « Les tournants culturels des sociétés urbaines », La métropolisation de la culture et du patrimoine, Géraldine Djament-Tran et Philippe San Marco (éd.), Le Manuscrit, p. 61-76.
  • Authier, J.-Y., Bensoussan, B., & Grafmeyer, Y. (2002). Du domicile à la ville. Paris, Economica Anthropos.
  • Bennett, T. (2022). « Cultural Policy and Social Inclusion in the Digital Age. » International Journal of Cultural Policy.
  • Béal, V., & Rousseau, M. (2022). Gouverner la ville durable: Politiques et instruments d’action publique. Rennes: PUR éditions.
  • Belfiore, E. (2009). “On Bullshit in Cultural Policy Practice and Research. Notes from the British Case.” International Journal of Cultural Policy, n° 15, p. 343-359.
  • Boltanski, L., & Esquerre, A. (2017). EnrichissementUne critique de la marchandise. Paris: éditions Gallimard.
  • Bouquillion, P. (2020). Industries créatives: Un enjeu pour les politiques publiques. Paris: éditions L’Harmattan.
  • Brown, N., & Szeman, I. (2020). Energy Humanities: An Anthology. Johns Hopkins University Press.
  • Burret, A. (2021). « L’essentiel dans le tiers-lieu est l’intention de se rencontrer ». Sans transition magazine. [En ligne], [URL: https://www.sans-transition-magazine.info/societe/interview-antoine-burret-lessentiel-dans-le-tiers-lieu-est-lintention-de-se-rencontrer
  • Castells, M. (2020). Communication Power. Oxford University Press.
  • Chenevez A. (2024). De l’authentique au virtuel: l’avenir du patrimoine culturel. La Lettre de l’OCIM, n° 210, novembre 2024.
  • Citton, Y. (dir.). (2014). L’économie de l’attention, nouvel horizon du capitalisme. Paris: La Découverte.
  • Clément, G., & Valegeas, F. (2017). « De quoi la « ville inclusive » est-elle le nom? Exploration d’un concept émergent à partir de discours scientifiques et opérationnels », Métropoles, n° 20. [En ligne], URL: http://journals.openedition.org/metropoles/5469
  • Epstein, A. (2019). « Quand le patrimoine fait (la) ville: le passé dans les luttes pour l’espace en Uruguay », Le patrimoine comme expérience. Implications anthropologiques. Paris, Éditions de la Maison des Sciences de l’Homme.
  • Eveno, E. (2018). « La ville intelligente: objet au cœur de nombreuses controverses »,
  • Quaderni, n° 96.
  • Evans, G. (2021). Cultural Planning: An Urban Renaissance?. Routledge. Florida, R. (2019). The Creative Class: Revisited. Basic Books.
  • Foster, H. (2021). « Creative Cities and the Politics of Space. » Cultural Critique.
  • Hadley, S., & Gray, C. (2017). “Hyperinstrumentalism and Cultural Policy: Means to an End or an End to Meaning?”. Cultural Trends, n° 26-2, p. 95-106.
  • Harvey, D. (2010). Géographie et capital. Vers un matérialisme historico-géographique. Paris, Éditions Syllepse.
  • Holden, J. (2020). Cultural Value and the Crisis of Legitimacy: Why Culture Needs a Democratic Mandate. Demos.
  • Illouz, E. (2019). Les marchandises émotionnelles. L’authenticité au temps du capitalisme. Paris, Premier Parallèle.
  • Kaplan, D. (2019). « Les cartes sexuelles de Tel-Aviv. Création d’ambiance, sexualité récréative et atmosphères urbaines », Les marchandises émotionnelles, E. Illouz, Paris, Premier Parallèle.
  • Laachi, S. (2023). Culture et numérique: Transformations et enjeux politiques. Presses de l’Université Laval.
  • Lafaye, C., & Thévenot, L. (2021). Un monde en crise? Dialogue critique entre l’art et l’action politique. Éditions du Seuil.
  • Latour, B. (2021). Où atterrir? Comment s’orienter en politique. Paris: La Découverte.
  • Marchal, H. (2024), « Habiter à l’ombre du centre-ville patrimonialisé », Revue des sciences sociales, n° 71, pp. 58-69.
  • Moss, J. (2023). « The Role of Culture in the Ecological Transition. » Journal of Environmental Policy & Planning.
  • Pinson, G. (2020). La ville néo-libérale. Paris: PUF, coll. « La ville en débat ».
  • Raffin F. (2007), Friches industrielles – Un monde culturel européen en mutation. Paris: éditions L’Harmattan.
  • Saez, J.-P., & Saez, G. (dir.). (2012). Les nouveaux enjeux des politiques culturelles. Dynamiques européennes. Paris: La Découverte, coll. « Recherches ».
  • Saez, G. (2022). “Une gouvernance par les conditionnalités. Un virage des politiques culturelles?”. L’Observatoire, n° 59, p. 10-13.
  • Tremblay, D.-G., & Krauss, G. (2019). Tiers-lieux. Travailler et entreprendre sur les territoires: espaces de coworking, fablabs, hacklabs…. Rennes: PUR éditions.

Appel_contributions_nouveaux_territoires_2024.pdf