Mollusques, histoire et sciences sociales : exploitation, domestication, extinction

Journées d’études

Organisation : Romain Grancher (FRAMESPA, CNRS, Université Toulouse -Jean Jaurès) et François Jarrige (LIR3S UMR 7366 CNRS-uB)

[Journée organisée par le LIR3S UMR 7366 CNRS-uB et Framespa (UMR 5136)]

Présentation

En 1817, le savant Georges Cuvier publie ses Mémoires pour servir à l’histoire et à l’anatomie des mollusques, dans lequel il révèle la richesse et la diversité de ces animaux invertébrés qui englobent les céphalopodes (pieuvres, seiches, calmars…), les bivalves (moules, huîtres, palourdes, coquilles Saint-Jacques, tarets…) et les gastéropodes (escargots, limaces, cônes…). Marins pour les uns, terrestres pour les autres, ces animaux mous et gluants peuvent prendre des formes multiples, mais ils ont tous en commun de faire l’objet d’un intérêt inédit dans une grande variété de champs du savoir. Ainsi, les biologistes et les écotoxicologues y voient dorénavant des espèces « sentinelles » fournissant des informations cruciales sur l’état des écosystèmes (Légué & Prou, 2012 ; Régnier et al, 2017) tandis que les anthropologues et les sociologues les regardent comme des animaux politiques embarqués malgré eux dans des controverses sociotechniques (Callon, 1986 ; Ménez, 2019). Et de même que les coquilles Saint-Jacques de la Baie de Saint Brieuc ont permis naguère à Michel Callon de faire des non-humains des acteurs à part entière des sciences sociales, les poulpes servent aujourd’hui à penser l’existence de formes d’intelligence et de sensibilité radicalement autres qu’humaines (Godfrey-Smith, 2018 ; Despret, 2021).
Le but premier de cette journée d’étude est de dresser un état des lieux des enquêtes qui ont pris les mollusques pour objet dans le champ de l’histoire et des sciences sociales. Le parti pris est d’envisager ensemble et dans toute leur diversité les espèces appartenant à cet embranchement, en tenant compte autant que possible des avancées récentes dans le domaine de la malacologie. On fait en effet le pari qu’il pourrait y avoir un intérêt à opérer des rapprochements par-delà les frontières établies entre les espèces, d’une part, et leurs milieux de vie, d’autre part. Il y a, en tout cas, un enjeu réel à dépasser le grand partage entre la terre et la mer qui continue de configurer en profondeur l’historiographie pour s’intéresser simultanément à des animaux évoluant dans des environnements terrestres et aquatiques (Grancher & Serruys, 2021).
À la différence des mammifères, depuis longtemps au cœur de l’histoire environnementale ou animale, les mollusques ne sont devenus que très récemment des objets de recherche légitimes aux yeux des historiennes et des historiens. Leur histoire reste donc largement méconnue, tout comme leur extinction massive, mais silencieuse, au cours des siècles derniers (van Dooren, 2023). Ce constat doit être quelque peu relativisé car il existe en réalité une historiographie assez étoffée sur certaines espèces exploitées de longue date en vue d’usages alimentaires, médicaux, religieux, monétaires ou ornementaux. C’est le cas du murex par exemple, dont on extrayait un colorant rouge connu sous le nom de pourpre de Tyr dans l’Antiquité (Machebœuf, 2022). C’est également le cas de l’huître, sur laquelle il existe une littérature riche et abondante, encore augmentée ces dernières années par des travaux consacrés à l’ostréiculture (Faget, 2007 ; Keiner, 2009) ou à la pêche perlière (Warsh, 2018 ; Ostroff, 2020 ; Fernando, 2022 & 2023). 
Cependant, à côté de ces quelques mollusques déjà bien étudiés, de nombreuses autres espèces sont restées dans l’ombre, sans doute en partie faute de sources, mais aussi tout simplement par défaut d’intérêt. Ainsi des poulpes et des calamars, des coques et des palourdes, sans parler des praires, des ormeaux ou même des moules qui, pour leur part, sont particulièrement bien documentées dans les archives à compter du XVIIIe siècle. Le même constat peut être fait à propos d’un mollusque terrestre comme l’escargot, auquel le philosophe Thom van Dooren vient de consacrer un superbe livre récent, mais dont l’histoire reste encore largement à écrire (Fabre-Vassas, 1982). À ces travaux consacrés aux espèces généralement considérées comme « utiles » s’ajoutent par ailleurs quelques enquêtes centrées sur des « nuisibles », tel que le taret par exemple, un bivalve mangeur de bois flotté redouté par les navigateurs du passé jusqu’à ce que le métal et la pierre viennent remplacer ce matériau périssable dans la fabrication des navires et des infrastructures portuaires (Serruys, 2021 ; Sundberg, 2022).
Centrée sur les interactions anciennes ou plus récentes entre mollusques et sociétés, cette journée voudrait contribuer à compléter et à rééquilibrer cette historiographie encore en construction. Les communications  pourront aborder l’une des questions transversales suivantes, en sachant que cette liste n’est ni exhaustive, ni limitative : l’exploitation, la consommation et l’élevage des mollusques comestibles ; les conflits d’accès et les formes de territorialité spécifiques auxquels ils donnent naissance ; les dynamiques d’extinction de certaines espèces et leurs causes (surexploitation, pollution, destruction des milieux, espèces envahissantes, épizooties). 

Programme

Jeudi 10 avril 2025

13 h 30 : Accueil des participants

  • 13 h 45 – Introduction par Romain Grancher et François Jarrige

  • 14 h 00 – Samuel Gicquel :
    L’abbé Dupuy (1812-1885), malacologue

  • 14 h 45 – Théophile Carreau :
    Les mollusques au cœur de la zoologie expérimentale : entre histoire naturelle et épistémologie

  • 15 h 30 – Romain Grancher :
    Qu’est-ce qu’un banc d’huîtres ? Le travail des mollusques, des pêcheurs et des garde-pêches sur les côtes de la Manche au XIXe siècle

Pause

  • 16 h 30 – Blaise Truong-Loï :
    Des saumons de la dette aux moules du sultan. Les tentatives d’acclimatation des moules libanaises sur le littoral charentais par Georges Jousset de Bellesme, 1893-1894

  • 17 h 15 – Geoffrey Poitou :
    Un voyage gustatif. L’huître du Grand-Ouest dans la publicité télévisée des années 1980 à la fin des année 1990

 


 

Vendredi 11 avril 2025

9 h 00 – Accueil

  • 9 h 15 – Meggy Chaidron :
    La disparition de la mye des sables (Mya arenaria) dans la région du Bas- Escaut : une enquête malacologique à la fin du XIXe siècle

  • 10 h 00 – Lucas Bossebœuf :
    Naissance, vie et mort de l’exploitation des coquilles Saint-Jacques en rade de Brest (1875-1963)

Pause

  • 11 h 00 – François Jarrige :
    Les escargots sont-ils un gibier ? Réguler le ramassage des escargots en Bourgogne au début du XXe siècle

  • 11 h 45 – Marie Chaidron :
    Escargots en péril. Genèse et développement de la protection des escargots comestibles (Helix pomatia L., Helix aspersa M.) en Belgique (depuis 1980)


 

  • 14 h 00 – Nicolas Jacob-Rousseau :
    Quand les naïades se cachent pour mourir : une lecture spatiale, entre biogéographie historique et histoire environnementale de la régression des mulettes d’Europe

  • 14 h 45 – Florence Menez :
    De la fête à la tragédie : ethnographie d’une commune du delta du Pô (Italie), entre palourdes et crabes bleus

  • 15 h 30 – Bilans et conclusions

 

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