Populaire, populiste, plébéien… Que qualifie-t-on ?

Journée d’études de l’atelier « Le populaire comme adjectif »

Présentation

Trois adjectifs et trois manières d’entendre un rapport au peuple, dans des configurations fugitives et volatiles. Le premier terme émane du peuple ou lui serait propre, là où le second entendrait ce rapport dans une voie démagogique ou servirait à qualifier un art, une littérature, une culture [1]. Le troisième oppose le peuple au Peuple, sujet politique, soit la communauté et ses exclus.

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Ces définitions classiques du dictionnaire semblent établir des frontières, délimiter des usages adjectivaux. Pour autant, ces inflexions lexicales dessinent des distinctions et des clivages qui ne s’avèrent pas si clairs, dès lors qu’on les place en regard les uns des autres. Diachroniquement, au populaire du Front, du rassemblement qui, politiquement colore les forces de gauche en 1936 dans une configuration antifasciste, succède dans un égal horizon politique borné par la question de l’extrême-droite en 2002 [2], l’Union pour une Majorité Politique, située à droite de l’échiquier. Populaire n’est là qu’une manière fugace de se positionner et/ou de nommer ; populiste lui succède depuis 2007. Quoique le terme ne soit pas seulement politique, il dessinait dans l’entre-deux-guerres, une manière d’être bourgeoise au roman populaire, au roman prolétarien. Au-delà, il engageait tout un réseau de significations tangentielles à la culture de masse – avec ses producteurs, ses ambitions et ses attentes, ses supports et ses lieux –, comme à la recherche d’un nouveau public, ou à la démarche anthropologique des arts et traditions populaires. Antonio Gramsci voyait dans la « culture populaire » le ferment d’une résistance à ne pas négliger dans le cadre des luttes sociales. L’ethnographe européaniste Ernesto De Martino, le poète et cinéaste Pier Paolo Pasolini et l’historien Carlo Ginzburg sauront notamment s’en souvenir. Mais dans le même temps, l’appréhension du « populaire » a donné l’occasion de replis conservateurs, opposés à la marche du progrès industriel et favorables à un retour aux « vraies » valeurs, à l’« authenticité » du genre de vie de nos campagnes. Les travaux d’André Varagnac, proche d’abord du Front populaire, ensuite de la « Révolution nationale », illustrent la possibilité de bascule d’un rapport progressiste à une conception passéiste du populaire [3].

Populaire, populiste, seraient ainsi les adjectifs d’une altérité sans cesse redécouverte, sans cesse reconfigurée que scrutent les SHS. Il est peu là question d’un substantif (le populaire) et de ses alentours ou ses marges. Populaire serait sans doute, dans certaines de ces configurations, un énoncé collectif [4] qui s’imposerait sans toujours être questionné. Il s’agit davantage d’interroger et d’arpenter cette zone grise qui, peu ou prou, sépare l’observateur de ce qu’il qualifie de populaire ou de populiste, se démarquant. A ce jeu épistémologique, l’adjectif « plébéien », notamment dans l’usage qu’en fait Jacques Rancière[5], vaut cheval de Troie. Dans La généalogie de la morale, Nietzsche avait associé la « plèbe » à la servilité, à la bassesse et à la faiblesse, et il lui avait opposé la force de l’aristocrate, du noble, de la brute conquérante, qui avait incontestablement sa préférence. Sans doute le cas de Nietzsche n’est-il pas isolé, et il faudrait faire le compte des œuvres philosophiques et artistiques, ou des interventions journalistiques, qui depuis le XIXe siècle ont méprisé et rejeté d’un seul et même mouvement la plèbe, la foule et les masses. Ces précédents peu réjouissants n’empêchent pas Rancière de proposer un nouveau modèle, original, du « plébéien ». Ce dernier apparaît en effet selon lui, dans le jeu politique comme dans le partage du sensible, comme l’expression de la part des sans-parts. Borne-t-il, délimite-t-il des agrégats politiques, des cultures, des traditions ? Ou n’est-il, comme ses homologues, qu’une manière de classer, normer, nommer, dans la chair des sociétés contemporaines ? Une manière qui déborde des champs politiques et culturels des XIXe et XXe siècles, participe des institutions comme le théâtre, les musées, l’édition, les traditions ou le cinéma, et colore la plume des savants comme celle des essayistes, en demeurant toutefois peu interrogée en tant que telle.

Cette journée d’étude, la seconde de l’atelier « Le populaire comme adjectif » (LIR3S uBFC et CHXIX Paris 1-Sorbonne Université), entend questionner ces relations au filtre des SHS.


[1] Henry Poulaille, Nouvel âge littéraire, Bassac, Plein Chant, 1986 (1930).

[2] Vincent Chambarlhac, Thierry Hohl, Un printemps antifasciste, Paris, La ville brûle, 2014.

[3] Pour une approche ethnographique pondérée du populaire, voir Marcel Maget, « Problèmes d’ethnographie européenne », Jean Poirier (dir.), Ethnologie générale, Paris, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, 1968, p. 1247-1338.

[4] Ibid . En référence à l’article d’Alain Boureau, « Propositions pour une histoire restreinte des mentalités », Annales. Économies, Sociétés, Civilisations, 44e année, n° 6, 1989, p. 1491-1504.

[5] Citons de Jacques Rancière, Aux bords du politique (Paris, Folio, 2004), Les scènes du peuple (Paris, Horlieu, 2003) et La mésentente (Paris, Galilée, 1995).

Programme

  • 9 h 30 – Accueil des participants
  • 10 h 00 – Vincent Chambarlhac (LIR3S UMR CNRS uB 7366) :
    Introduction
  • Sébastien Le Pajolec (Centre d’histoire du XIXe siècle, Université Paris 1 Panthéon Sorbonne) :
    L’impopulaire comédie populaire : l’exemple de Louis de Funès
  • Bertrand Tillier (Centre d’histoire du XIXe siècle, Université Paris 1 Panthéon Sorbonne) :
    La carte postale à la Belle Époque, sujets populaires et culture de masse
  • 14 h 00 – Julien Hage (DICEN, Université Paris Ouest-Nanterre) :
    À petits coups de mon piqueur : rubrique de l’idiomatique et de l’ironie populaire du Nord dans un journal communiste du bassin minier, années 60
  • Noel Barbe (IIAC UMR 8177 CNRS-EHESS) :
    Au fil du plébéien
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