Les lieux de privation de liberté, des lieux politiques

Journée jeunes chercheurs de la SFHPo

Organisation : Léo Rosell et Jean Vigreux (LIR3S UMR 7366 CNRS-uB)


Présentation

L’étude des lieux du politique encouragée par la Société française d’histoire politique invite à interroger un certain type d’espaces éminemment politiques : les lieux de privation de liberté. Qu’il s’agisse de prisons, de résidences surveillées, de camps d’internement ou encore de bagnes, ces lieux constituent à la fois des outils de répression politique, des lieux de construction politique mais aussi des lieux de vie politiques, sur lesquels les participants à cette journée d’étude sont invités à s’interroger. 

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L’emprisonnement des opposants, une stratégie politique

Instrument aux mains de l’État, les lieux de privation de liberté se traduisent par des dispositions normatives et des pratiques concrètes de surveillance, de contrôle et d’encadrement, à des fins répressives des opposants politiques. Si la Bastille sous l’Ancien Régime symbolise à elle seule dans l’imaginaire l’arbitraire du pouvoir, il faut s’attarder à la fois sur la diversité des acteurs répressifs (justice, police, armée) et sur la pluralité des motifs qui conduisent les pouvoirs publics à créer des prisonniers politiques. Imposé pour des raisons politiques, à l’issue d’une procédure potentiellement entachée d’irrégularités, fondé sur des conditions de détention discriminatoires et des atteintes aux libertés publiques, l’emprisonnement correspond à une stratégie politique sans qu’elle ne soit toujours assumée par ses instigateurs. Il permet de mesurer le seuil de tolérance fixé par les autorités à l’égard de ses opposants, d’identifier comment la perception de la menace varie dans le temps et conduit à des réponses variées, qui ne sont ni fixes ni constantes selon les régimes et les périodes étudiés. En contexte de guerre, le droit recule au profit de procédures d’exception et d’internements de civils jugés politiquement indésirables ou de nationalité ennemie (Farcy, 2014). Au nom des impératifs de la défense nationale, la justice militaire étend ainsi son rôle disciplinaire et exerce une autorité parfois brutale, à l’exemple de l’arbitraire et de la violence ordinaire qui s’exercent pendant les guerres de décolonisation (Thénault, 2001).

En réaction, les prisonniers et leurs soutiens construisent eux aussi une stratégie politique à l’occasion de leur enfermement. C’est le cas, par exemple, pour le Parti communiste français qui publicise le sort des députés communistes en 1939-1943 et qui trouve dans l’arrestation de certains de ses militants ou dirigeants dans les années 1950 (affaire Duclos, A. Le Léap…) une ressource pour médiatiser des “arrestations politiques”, dénoncer la répression dont ils sont victimes et atteindre ainsi le régime honni en dramatisant les enjeux. Partis et groupes parlementaires, journalistes et avocats, comités et intellectuels, sont autant d’acteurs qui, en dehors et en dedans, politisent au-delà des cas particuliers et font des lieux de privation de liberté des lieux politiques.

Ces politiques d’enfermement des opposants politiques sont aujourd’hui un enjeu mémoriel (Ricordeau et Bugnon, 2018) Elles donnent lieu à une concurrence entre groupes mémoriels, à des enjeux de reconnaissance, de patrimonialisation et de mise en tourisme de lieux de privation de liberté. Ce phénomène est à la fois extrêmement vaste et varié, et jamais linéaire et neutre, que l’on pense, pour ne citer que quelques exemples, à Dachau et Auschwitz, à la prison de Montluc à Lyon, au bagne de Poulo Condor au Vietnam, ou encore à Robben Island, la prison de Cape Town recensée au patrimoine mondial de l’Unesco pour son témoignage de l’oppression et du racisme longtemps en vigueur en Afrique du Sud.

Les lieux de privation de liberté, lieux de construction politique

Du point de vue de l’individu privé de sa liberté, l’espace de la réclusion peut également constituer un lieu de construction politique. En plus de constituer une étape de la vie militante, l’enfermement semble constituer un moment privilégié pour la lecture d’ouvrages politiques, pour l’élaboration d’une pensée politique, voire pour la rédaction de textes doctrinaux. La tenue de correspondances, de “cahiers” ou de “carnets de prison” apparaît même comme une pratique courante, voire convenue, de la détention politique. S’y mêlent fréquemment des réflexions politiques alimentées par des récits et anecdotes inspirés par le quotidien de la détention. Les exemples de Louise Michel, Lénine, Gramsci ou encore Hitler sont ainsi révélateurs du poids de l’expérience carcérale dans l’élaboration d’une doctrine politique. De tels écrits peuvent d’ailleurs par la suite être utilisés par l’ancien détenu lui-même, dans le cadre de stratégies individuelles de légitimation politique.

Le processus de la politisation de détenus jusque-là peu formés politiquement pourra également faire l’objet d’études de cas à hauteur d’homme et de femme. De la simple prise de conscience politique à des formes plus avancées de radicalisation, la découverte de la vie carcérale peut ainsi participer à la construction politique d’individus, mis en marge de la société par leur incarcération.

Les lieux de privation de liberté comme lieux de vie politiques

Les lieux de privation de liberté sont enfin des « laboratoires » où se construisent les pensées et les pratiques politiques collectives. Ce sont des espaces de rencontre de masse où la réflexion (réunions informelles, circulations de tracts…) et d’éducation sont des éléments de sociabilité majeure, comme en témoigne l’internement collectif des opposants au régime de Vichy (Giraudier). On retrouve, par exemple, des cours organisés en prison par les députés communistes entre 1939 et 1943.

La construction en miroir d’une altérité à travers le prisme geôliers/détenus est également un vecteur important de la construction d’identité politique, en contexte colonial notamment (Australie, Algérie…) ou vis-à-vis des minorités politiques. C’est également un lieu de fraternisation où les détenus vivent des expériences collectives qui sont par la suite remobilisées dans les carrières politiques.

Enfin, ces espaces sont aussi des lieux de communications avec l’extérieur. Les lieux d’enfermement sont parfois perméables (Herriot sort par exemple de sa résidence surveillée avec la complaisance des gendarmes locaux supposés le surveiller pour aller rencontrer des amis, dont d’anciens collaborateurs politiques engagés dans la résistance) et permet aussi un dialogue complexe.

Programme


9 h 30 – Accueil des participants

  • 9 h 45 – Comité d’organisation : Mot d’accueil et introduction

Écarter des opposants politiques en contexte de guerre

Présidence : Noëlline Castagnez, POLEN (université d’Orléans)

  • 10 h 15 – Yann Sambuis, LARHRA (Université Lyon 2) 
    De l’assignation à la déportation : réflexions sur les conditions de détention d’Edouard Herriot sous Vichy 
  • 10 h 35 – Delphine Richard, LARHRA (Université de Lyon 2) 
    La vie politique des prisonniers de guerre français en captivité en Allemagne, 1940-1945
  • 10 h 55 – Discussion

11 h 15 – Pause

  • 11 h 30 – Léo Rosell, LIR3S (Université de Bourgogne) et Florent Gouven, Centre Norbert Elias (Université d’Avignon) 
    Les députés du PCF privés de leur liberté (1939-1943) : la prison comme lieu politique

  • 11 h 55 – Discussion

Réprimer et enfermer en contexte de paix

Présidence : Christine Manigand, ICEE (Sorbonne Nouvelle) 

  • 13 h 30 – Cyril Robelin (Université de Liège) 
    Le « zoo humain », instrument de la légitimation de la domination politique et du génocide : l’exemple de l’exposition « les Derniers Charrùas » en 1831-1832
  • 13 h 50 – Éloise Dreure et Corentin Lahu, LIR3S (Université de Bourgogne) 
    « Allons tout va bien. Le ciel est clair, la vie est belle ». L’expérience carcérale des militants communistes détenus à la prison de Barberousse à Alger, dans les années 1920
  • 14 h 15 – Maxime Launay, IRSEM  
    La fin des bagnes et des prisons militaires dans les années 1968 
  • 14 h 35 – Discussion

14 h 55 – Pause

Marginaliser les vaincus

Présidence : Manuelle Peloille, 3L.AM (université d’Angers)

  • 15 h 10 –  Antoine Limare, SIRICE (Sorbonne Université´) 
    « Dialogues de vaincus ». Les épurés face à leur situation politique à la Libération
  • 15 h 30 – Virginie Sudre, IHRIM (Université Lyon 3) 
    Continuer à se battre malgré l’enfermement : l’action de Nicolas Sartorius comme exemple de l’opposition démocratique au régime franquiste (1962-1975)
  • 15 h 50 – Jules Rodrigues, 3L.AM (Université d’Angers) 
    Objection de conscience et opposition au service militaire dans l’Espagne des années 1990. La prison comme lieu de résistance politique
  • 16 h 10 –  Discussion
  • 16 h 30 – Conclusion par Gilles Richard, Arènes (Université Rennes 2)

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