Déplacer les humains et les animaux sauvages pour « conserver la nature » : environnementalisme, autochtonie et politiques économiques dans les parcs nationaux

Atelier « Penser les transitions »

Organisation : Jean-Louis Tornatore (LIR3S UMR 7366 CNRS-uB)

Entrée libre, sans inscription et gratuite,
dans la limite des places disponibles. 


Présentation

L’effondrement mondial de la biodiversité positionne plus que jamais les politiques de conservation de la nature comme légitimes pour protéger les espaces et les espèces menacées par l’extractivisme, la globalisation des pollutions et le dérèglement climatique. Nous verrons dans cet atelier que, telles qu’elles se sont déployées sur le dernier siècle, ces politiques apparaissent inadéquates et inefficaces pour répondre aux enjeux, économiques, politiques et environnementaux. En restituant la généalogie de ces politiques au sein des logiques coloniales, nous explorerons les effets de décalage que l’anthropologie et la géographie environnementale décèlent entre les objectifs écologiques affichés par les États et les capacités de contrôle, étatique ou privé, des sociétés humaines et de leurs environnements.

Details

Les « barrières » et les déplacements forcés ont été les premiers outils des états coloniaux pour l’avènement de parcs naturels (Brockington, Duffy & Igoe 2008)). Contrôler les populations d’humains et d’animaux a été de fait, et reste à maints égards, le premier enjeu du maintien de la domination économique sur ces espaces à forte valeur ajoutée. En mettant au jour quelques relations entre des politiques étatiques de conservation de la nature, une production systématique de la subalternité et le déploiement du capitalisme vert, cet atelier aura pour sujet de décortiquer les effets actualisés de l’inspiration coloniale dans les modes de gouvernement pour les transitions. Alors que les peuples déplacés réclament la restitution de leurs droits, comme dans le Minas Gerais brésilien (Carvalho 2009), alors que les éléphants tentent inlassablement de revenir à leur point de décollage après leur réintroduction par hélicoptère, et que les migrants mozambicains traversent illégalement le parc national du Limpopo pour chercher du travail dans les mines sud-africaines, les États n’ont de cesse d’adapter leurs modes de surveillance et de régulation. Depuis quelques dizaines d’années, des méthodes participatives de mobilisation des acteurs locaux ainsi que l’économie touristique deviennent des nouveaux leviers de contrôle. Ces métamorphoses en cours dans les rapports de force entre États et populations humaines et animales produisent une tension inédite entre les logiques installées de ségrégation de l’espace et des « phénomènes de connexion » plus récents qui favorisent la construction d’une proximité, une « coprésence » mise au service des intérêts capitalistes (Rodary 2019).

Deux situations liées à la création d’espaces naturels dans des territoires coloniaux viendront éclairer ces décalages. Helena Dolabela présentera la lutte des Pataxó, un peuple autochtone du Brésil, vivant entre Bahia et le Minas Gerais depuis leur déplacement forcé lors de la création du parc national de Monte Pascoal. Le processus de « retomada » mêle les actions radicales de reprise des terres, la reconnaissance de leurs droits civiques et originaux avec leur vision et les connexions singulières qu’ils mettent en œuvre pour le respect de la Terre/terre. Ce processus active un rapport de force difficile avec l’État brésilien. Pour cette intervention, elle présentera le débat actuel sur le concept de « retomada » et une étude de cas sur la situation de ce peuple en lutte, en relation avec les processus de colonisation qu’il a subis.

Dans le prolongement de son ouvrage L’apartheid et l’animal (Rodary 2019), Estienne Rodary proposera de suivre les évolutions des politiques de conservation de la nature depuis des terrains d’Afrique australe (Zimbabwe, Zambie, Afrique du Sud), en montrant que ces évolutions s’appuient sur l’idée-même de « connexion ». Cette idée se diffuse peu à peu en écologie et tend à devenir centrale dans les politiques de conservation, remettant apparemment en question les approches discriminatoires, territoriales, mono-spécifiques ou marchandes. Mais on verra que la notion de connexion a pris une dimension telle, qu’elle concentre désormais une remise en cause des fondements de la modernité elle-même. Si, selon Estienne Rodary, une théorie de la connectivité est possible, elle ne propose pas une utopie. Elle offrirait plutôt une focale utile pour la théorie critique qui documenterait les conditions effectives de notre monde en devenir, dans lequel les processus de connexion comme ceux de déconnexion produisent autant d’oppressions que de libérations.

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