Colloque de l’atelier « Le populaire comme adjectif »
Présentation
En clôture d’une recherche menée conjointement par le LIR3S et le CHXIX sous forme d’ateliers et de journées d’étude [1] et avec la participation de l’Écomusée de la Bresse Bourguignonne, ce colloque souhaite questionner ce que serait, dans le domaine des SHS « Collecter le populaire ». Une définition, en tension devant l’opération qu’est la collecte, introduit cet appel.
Populaire
- Qui appartient au peuple, qui le caractérise; qui est répandu parmi le peuple
(Bonhomie, coutumes, crédulité, croyances, culture, génie, imagination, insouciance, instinct, légendes, mythes, opinion, passe-temps, préjugés, sagesse, tradition populaire(s) ; musée des arts et traditions populaires.) - Qui est composé de gens du peuple; qui est fréquenté par le peuple
(Arrondissement, bal, bar, café, fête, restaurant populaire). En parlant d’un groupe : classes, masses, meetings populaires. - Qui est accessible au peuple, qui est destiné au peuple.
Air, chanson, conte, drame, édition, éducation, imagerie, littérature, publication, université populaire.
C’est ainsi que cartographie le Centre national de ressources textuelles et lexicales les principales acceptions d’un adjectif, populaire. L’adjectif, ou son substantif, semble toujours aller de soi, se donne abruptement comme tel : ainsi d’expressions comme mondes populaires, fêtes populaires, arts et traditions populaires, universités populaires, théâtre populaire, bibliothèques populaires, émeutes populaires…
Lire la suite
Cet inventaire borgesien, jamais fini plus qu’infini, comment l’appréhender dans le monde des SHS ? Que désigne l’épithète populaire, si ce n’est l’apposition d’une forme de distinction, sinon de clôture à l’intérieur d’un espace social et/ou politique, intellectuel, plus vaste – au hasard, les bibliothèques, le théâtre, l’histoire, l’art, le patrimoine, la littérature…. Un espace qui n’est pas exactement celui d’un autre exotique, mais bien plus celui de l’autre d’une société, un espace socialement dénivelé [2]. Cet espace, l’analyste, le savant, le militant… l’arpentent, informant ainsi par l’adjectif une distance parcourue. Populaire s’étreint toujours sous la forme de la distance, s’entend dans un rapport construit et donné. On peut l’entendre dans le lexique de la domination, au risque d’écraser ce que ce qualificatif est pour l’essentiel, un mouvement. Un mouvement, une manière d’étreindre un reste anthropologique et/ou littéraire, artistique, sociologique, historique… quelque chose qui délimite, dit une tension.
Précisément, et c’est là le postulat de ce colloque, la collecte, qu’elle soit programmée et méthodique ou sauvage, pratiquée par les SHS au sens large, nous semble pouvoir questionner les temps de ce mouvement, les moments de cette mesure par l’objet, la photographie, le recueil de contes, de mots, de traditions, de savoir-faire et de gestes…
L’interrogation du colloque se déploie sur quatre temps, pariant sur la qualité de « faiseur d’embarras » de l’adjectif ou du substantif [3] :
- Dans le moment de la collecte, dans le choix des objets – matériels/immatériels – s’informe l’adjectif populaire. Les récits, les carnets d’enquête, les fonds photographiques… apparaissent comme l’un des lieux où questionner ce qui se joue, soit l’art d’une pensée du classement par le mouvement même de collecte du populaire devant d’autres objets.
- La collecte implique ensuite la collection et l’archivage par une autorité (scientifique, institutionnelle, élitaire…) en surplomb qui instaure ainsi un effet de hiérarchisation. La collection, dans ses processus d’analyses, comme d’expositions dans l’horizon de différentes institutions et/ou productions culturelles, donne à voir des écritures du populaire. Ces écritures peuvent être savantes, muséales, artistiques, littéraires… Elles constituent dans l’après-coup des archives du populaire à un moment donné de sa monstration. Un populaire qui aurait « la beauté du mort », selon la formule de Michel de Certeau [4], ou qui serait supposé conserver une mémoire active (un reste) des publics pris en charge par ces écritures et récits (ainsi, par exemple des écomusées). Il s’agit ici d’interroger tout autant la collection en tant que regard de la collecte, que les usages et les discours qui enserrent une collection d’arts, de traditions, etc., désignée comme populaire.
- Troisième temps du questionnement, la revisite critique des opérations de collecte, comme celles des RCP de l’Aubrac et du Chatillonnais conduites par le Musée des ATP, ou le retour à nouveaux frais par l’exposition, l’édition critique, de ces moments de collecte qui n’échappent pas à la patrimonialisation et à « l’effet musée » [5]. L’après-coup demande également à être interrogé dans la manière dont il informe, à nouveau, ou non, une acception située du populaire, supposant comme dans les moments précédents qu’il est autant l’expression d’un point de vue situé que d’un mouvement vers le populaire. Ici, en écho à Michel de Certeau, peut-on supposer que le mort saisit le vif ?
- Enfin dans un quatrième temps, il s’agit d’interroger l’historicité de la catégorie de populaire et des effets de ses inflexions/substitutions/tensions vers/par/avec d’autres articulant, comme elle, l’analytique et le politique, telle celles (en autres) de subalternité et d’hégémonie [6]. Là le populaire, auparavant souvent compris comme l’effet d’un cannibalisme collectionneur qui détruit et réduit au silence son objet à mesure qu’il le saisit, pourrait s’analyser comme la tentative ou le geste même d’échapper, selon différentes modalités, à une objectivation par les SHS. Populaire serait ici soit une ressource permettant la constitution de sujets politiques visant à la transformation d’un ordre social et politique ou résistant aux effets de la modernité, soit pu simultanément encore comme la possibilité d’un contre-espace où s’actualiseraient des pratiques non-extractivistes des SHS avec lesquelles il s’articulerait dans un « avec » et non un « sur ».
[1] L’ensemble de ces contributions est consultable sous forme de podcasts dans la phonothèque du LIR3S
[2] Cf. l’introduction de Jacques Revel à Richard Hoggart en France, textes rassemblés par J.-C. Passeron, Paris, BPI/ Centre Georges Pompidou, 1999.
[3] Dominique Julia, « Un faiseur d’embarras ? », les historiens et les débats autour de la culture et de la religion populaire (1960-1980), Archive des sciences sociales des religions, n°176, octobre 2016.
[4] Michel de Certeau, Dominique Julia et Jacques Revel, « La Beauté du mort, le concept de culture populaire », Politique aujourd’hui, décembre 1970, p. 3-23
[5] Dominique Poulot, dir., « L’effet musée, Objets, pratiques et cultures », Histo.art, n° 14, 2022.
[6] Cf. Antonio Gramsci, Cahiers de prison, édition de R. Paris, Gallimard, « NRF », Paris, 1978-1996, 5 vol. Et Gavraty Spivak, Can the Subaltern Speak ? in Cary Nelson and Larry Grossberg, eds. Marxism and the interpretation of Culture (1988).
Programme
Jeudi 7 décembre
9 h 30 – Accueil des participants
- 10 h 00 – Bertrand Tillier (Centre d’histoire du XIX e siècle (UR 3550), université Paris 1 Panthéon-Sorbonne) et Vincent Chambarlhac (LIR3S UMR 7366 CNRS-uB) :
Introduction – Collecter le populaire. Du chiffonnier au musée ?
Session 1
- Jehanne Denogent (université de Cape Town, Afrique du Sud) :
Collecter le folklore africain: une certaine idée du Peuple - Isabelle Guegan (Centre de recherche bretonne et celtique, université de Bretagne occidentale) :
Au plus près du peuple des campagnes bretonnes. Collectage de pratiques et savoirs populaires dans le « Dictionnaire breton-français du chevalier de Coetanlem » - Marie Goupil-Lucas Fontaine (Centre d’histoire du XIX e siècle (UR 3550), université Paris 1 Panthéon-Sorbonne) :
Collecter, exposer, représenter la chanson populaire. De la Grande nuit des Musicoramas aux premières pierres du Musée de la Chanson - Discussions
Session 2
- Leo Rosell (LIR3S UMR 7366 CNRS-uB) :
Les archives privées d’Ambroise Croizat, des archives du populaire - Marie-Pier Tremblay (université de Laval, Canada) :
De la pratique de lecture en milieu rural (1850-1900) à l’exposition patrimoniale : ce que révèle l’inventaire de la bibliothèque de la Maison Louis-Bertrand - Discussions
Session 3
- Frédéric Thomas (Centre tricontinental, Louvain-la-Neuve, Belgique) :
« Peintures idiotes, enluminures populaires, littérature démodée… » Avant-gardes et collectes sauvages - Noël Barbe (LAP UMR 8177 CNRS-EHESS) :
Dissonances épistémologiques et politiques - Discussions
- Table ronde : La collecte et le monde des musées : qu’entendre du populaire ? [Titre provisoire]Avec la participation d’Estelle Comte (Écomusée de la Bresse Bourguignonne), de Justine Bohbote et Aude Fanlo (MUCEM) et Sophie Jolivet (Museum d’histoire naturelle de Dijon).
Vendredi 8 décembre
9 h 00 – Accueil des participants
Session 4
- Ariane Mak (LARCA CNRS-UMR 8225 université Paris Cité) :
People’s Homes : enquêtes et collectes du Mass-Observation sur le logement des classes populaires britanniques (1941-1943) - Frédéric Firreri (LRA EA 7413, École d’architecture de Toulouse) :
L’enquête du Musée des Arts et des Traditions Populaire sur l’architecture folklorique de 1942 à 1946 - Bertrand Tillier :
Collecter le populaire par l’image : Pierre Soulier photographe au Musée national des Arts et traditions populaires (1941-1967) - Discussions
Session 5
- Julien Hage (DICEN, Université Paris Ouest-Nanterre) :
Des collections « populaires » des années 1970, entre documents et littérature : « Actes et Mémoires du peuple » chez Maspero (1975-1982) - Vincent Chambarlhac :
Un temps d’avant la beauté du mort ? Le collectif des Révoltes logiques et le populaire
Session 6
- Javiera Coussieu-Reyes (Université Sorbonne Paris Nord) :
Les récits d’inceste : un mouvement du peuple vers la littérature ou de la littérature populaire vers le peuple ? - Philippe Artières (CNRS, IRIS, UMR 8156) :
En quête de moi - Discussions
- Conclusion