Le Panthéon des sciences : la biographie savante comme mode d’écriture de l’histoire des sciences (XVe-XVIIIe siècle)

Journée d’études

Organisation : Laurent-Henri Vignaud et Laurence Giavarini (LIR3S UMR 7366 CNRS-uB)

18 septembre 2025 à l’université de Bourgogne – Amphithéâtre de la MSH de Dijon

 


 

 


 

Présentation

La biographie savante a une histoire. Longtemps prisée et considérée comme une modalité certes minimale mais efficace de l’histoire des sciences (Mazauric, 2007), elle a subi au cours du XXe siècle, du fait de nouvelles approches (littéraires, historiques, sociologiques), une forte crise de légitimité au point de devenir l’archétype même de tout ce qu’il ne faut pas dire et tout ce qu’il ne faut pas faire pour rendre compte de l’évolution des savoirs. Alors que le récit (auto)biographique individualise, voire héroïse, la figure du savant, la critique moderne tend à replacer le genre rhétorique de la Vie dans un réseau plus vaste de « formations discursives » (Foucault, 1969), de relations « objectives » professionnelles et familiales ou d’intérêts économiques et politiques (Bourdieu, 1986 ; Loriga, 1996 ; Dosse, 2005).

Rejetant l’image romantique ou positiviste du savant héroïque qui suit une « trajectoire » (celle qui conduit au Vrai mais à laquelle tout fait obstacle), l’historien risque pourtant de passer à côté du fait le plus saillant : ces récits de vies ont accompagné, depuis ses débuts, le discours sur l’émergence des sciences à l’époque moderne et ont ainsi contribué à cette évolution et à son écriture, au même titre que les productions savantes, les échanges épistolaires, les institutions professionnelles, les lieux, les instruments, les pratiques et les gestes, etc. (Bert & Lamy, 2021). En tant que tels, ils sont des objets historiques qui méritent attention per secar les lieux communs qui s’y sont forgés continuent à marquer une partie du discours commun sur la « marche des sciences » et la définition même du « savant » (Shortland & Yeo, 1996).

Nous ne souhaitons pas cependant axer cette journée d’études sur la « portée heuristique » des biographies savantes (Kaeser, 2003), c’est-à-dire sur leur valeur comme outil pour écrire l’histoire des sciences actuelle, mais comme un moyen d’explorer la façon dont les érudits et les savants de l’époque moderne ont écrit la leur. Ce qui nous intéresse est, ici, l’histoire du « soi scientifique » ou pour mieux dire des « personae savantes » (Daston & Galison, 2012) telles qu’elles furent imaginées et décrites dans les récits, y compris les récits de fiction, les dictionnaires, les nécrologies, les éloges, les Vies proprement dites, les autobiographies et l’iconographie (portraits gravés, peints ou sculptés), de la Renaissance à la fin du XVIIIe siècle. Nous prenons comme point de départ les études déjà publiées sur la littérature des « Illustres » (Eichel-Lojkine, 2001) et sa traduction au siècle des Lumières en « panthéon » (Bonnet, 1998) qui fait de la biographie un « genre militant » (Crouzet-Pavan et al., 2021). Et nous nous arrêtons à l’aube du XIXe siècle, sans interdire strictement quelques débordements sur le début de ce siècle, car avec l’époque romantique et sous l’influence du positivisme les vies savantes changent de contenu et de destination, du fait de la « décomposition de l’ancien système des corps et des solidarités, miné par de nouveaux regroupements et de nouvelles définitions des activités et des métiers » amorcée avec les Lumières (Ribard, 2003). 

Nous souhaitons décrire notamment les « processus d’unification » (Adell, 2022) qui forgent les personaesavantes à travers leurs récits de vies, mais aussi les lacunes et les silences qui ont contribué à cette unification, afin de comprendre quelle conception de l’histoire des sciences, individuelle et collective, s’est construite de la Renaissance aux Lumières sur cette base (auto)biographique (Giavarini & Noûs, 2023). 

Dans la catégorie des « savants », nous englobons tous les érudits, lettrés, scientifiques et détenteurs d’un savoir au sens très large, conforme à « l’ancien régime des sciences des savoirs » (Van Damme, 2015). En fonction des résultats obtenus lors de cette première journée d’études, nous poursuivrons le travail sur les périodes ultérieures, sur lesquelles il y a beaucoup à dire, même si le sujet a mieux été exploré.

Quatre thématiques d’analyses sont privilégiées et sont susceptibles d’inspirer des communications :

  • La mise en récit (auto)biographique de la Renaissance aux Lumières : il s’agit là d’étudier le mode d’écriture de la « Vie savante » à travers ses tropes et ses lieux communs. À l’époque moderne, cette mise en récit se démarque encore assez peu de celle des autres « Illustres » (vocation contrariée, rencontre providentielle, fatum, sacrifice de soi, solitude, jalousie des pairs, mort stupide ou tragique, etc.). Il s’agira de questionner l’émergence d’un récit spécifique aux « sciences » et d’en établir la norme d’écriture.

  • L’individu et le groupe : alors que les récits tendent, par leur vocation même, à individualiser voire à héroïser la vie savante, il s’agira ici de porter attention aux liens (familiaux, sociaux, professionnels, autres) que le savant entretient avec son entourage afin de comprendre comment est construite sa singularité. Dans les Vies, certains traits sont conservés ou caricaturés (par exemple, la vie conjugale) tandis que d’autres sont ignorés (par exemple, les intérêts financiers ou économiques, voire les appartenances religieuses).

  • Le culte savant par l’image : à la Renaissance, les récits de vie s’accompagnent fréquemment de portraits gravés. Pourtant, la mise en images du savant pose problème, notamment en l’absence d’un code emblématique bien établi. Comment reconnaître le savant au premier coup d’œil ? Il s’agira ici d’étudier portraits peints, sculptures, gravures ou autres qui permettent de dégager les caractéristiques d’une iconographie savante et la place laissée à l’individualité dans ces représentations.

  • La vie savante au féminin : bien qu’elles soient encore peu nombreuses, les femmes savantes ou érudites suscitent l’intérêt des biographes du fait de leur rareté et de leur apparente marginalité en regard des normes sociales de la période. Il s’agira d’examiner, par le texte ou l’image, les spécificités des vies de savantes afin de cerner l’horizon des possibles autorisé par une pratique scientifique qui reste quasi exclusivement masculine.

La journée aura lieu en septembre ou octobre 2025 (la date pourra dépendre de la disponibilité des participants), à l’Université de Bourgogne, campus de Dijon.

Les approches transdisciplinaires (histoire, histoire de l’art, littérature, sociologie) ou comparatives entre pays seront particulièrement appréciées. 

Pour toute question ou information complémentaire, n’hésitez pas à nous contacter. 

Comité d’organisation : Laurent-Henri Vignaud (MCF Histoire moderne, LIR3S UMR 7366 CNRS-uB) et Laurence Giavarini (Pr Littérature XVIIe-XVIIIe siècle, LIR3S UMR 7366 CNRS-uB). 

Bibliographie de référence : 

  • ADELL Nicolas, La vie savante. La question biographique dans les sciences humaines, Paris, PUF, 2022.
  • BONNET Jean-Claude, Naissance du Panthéon. Essai sur le culte des grands hommes, Paris, 1998.
  • BOURDIEU Pierre, « L’illusion biographique », Actes de la Recherche en Sciences Sociales, 62-63juin 1986, p. 69-72.
  • CROUZET-PAVAN, Élisabeth, et al., Panthéons de la Renaissance. Mémoires et histoires des hommes et femmes illustres, v. 1350-1700, Rome, Publications de l’École française de Rome, 2021.
  • DASTON Lorraine et GALISON Peter, Objectivité, Dijon, Les presses du réel, 2012.
  • DOSSE François, Le pari biographique. Écrire une vie, Paris, La Découverte, 2005.
  • EICHEL-LOJKINE Patricia, Le siècle des grands hommes. Les recueils de vies d’hommes illustres avec portraits du XVIe siècle, Louvain, Peeters, 2001.
  • FOUCAULT Michel, L’Archéologie du Savoir, Paris, Gallimard, 1969.
  • GIAVARINI Laurence et NOÛS Camille (dir.), Écriture du groupe, écriture en groupe, Louvain, CRH-Les Dossiers du GRIHL, 2023.
  • KAESER Marc-Antoine, « La science vécue. Les potentialités de la biographie en histoire des sciences », Revue d’Histoire des Sciences Humaines, 8, 2003, p. 139-160.
  • LORIGA Sabina, « La biographie comme problème », dans REVEL Jacques (dir.), Jeux d’échelles. La micro-analyse à l’expérience, Paris, EHESS-Gallimard-Seuil, 1996, p. 209-231.
  • MAZAURIC Simone, Fontenelle et l’invention de l’histoire des sciences à l’aube des Lumières, Paris, Fayard, 2007.
  • RIBARD Dinah, Raconter Vivre Penser. Histoires de philosophes 1650-1766, Paris, Éditions de l’EHESS, 2003.
  • SHORTLAND Michael et YEO Richard (dir.), Telling Lives in Science. Essays in Scientific Biography, Cambridge, Cambridge University Press, 1996.
  • VAN DAMME Stéphane, « L’ancien régime des sciences et des savoirs », dans PESTRE Dominique (dir.), Histoire des sciences et des savoirs. 1. De la Renaissance aux Lumières, Paris, Seuil, 2015, p. 19-40.

[Télécharger l’appel à communications au format pdf]

Ajouter au calendrier Tous les événements