Transversales : Journée d’étude doctorale du LIR3S
Organisation : Bertrand Kaczmarek (doctorant en philosophie, LIR3S UMR CNRS uB 7366), Harmonie Mariette (doctorante en histoire, LIR3S UMR CNRS uB 7366), Emma Sutcliffe (doctorante histoire de l’art, LIR3S UMR CNRS uB 7366) et Linda Zuo(doctorante histoire de l’art, LIR3S UMR CNRS uB 7366)
« Je voudrais proposer une hypothèse pour interpréter le mode d’existence d’un certain nombre de groupes ou d’individus rejetés du circuit ordinaire des échanges sociaux […] Il s’agit d’essayer de saisir la marginalisation, véritablement, comme un processus, et de comprendre la situation de ces individus à l’aboutissement d’une dynamique d’exclusion qui se manifeste déjà avant qu’elle ne produise ces effets complètement désocialisants. »
Robert Castel, « La dynamique des processus de marginalisation :
de la vulnérabilité à la désaffiliation », Cahiers de recherche sociologique, 1994, n° 22, p. 11.
Voilà ce que déclarait le sociologue et philosophe Robert Castel en 1994 dans un article qui cherchait moins à définir l’exclusion comme un résultat, un aboutissement et une finalité que comme un mécanisme, une progression ou un déroulement.
Étudier ce processus d’exclusion se justifie par l’évolution des pratiques sociales et des valeurs culturelles – autrement dit, par l’évolution des normes, qui ont de tout temps été produites par les groupes sociaux pour renforcer leur cohésion. Aux confins du social et du psychique, ces normes régulent le contact entre l’individu et la société à laquelle il appartient, elles conditionnent dans une large mesure notre inclusion dans la communauté humaine : pas de norme sans déviance, donc sans risque d’exclusion. Les préoccupations, à propos de ces « déviances » et leurs effets, traversent toutes les sciences humaines et concernent tous les secteurs de la vie sociale, en particulier ceux liés au travail, à la santé et à l’éducation.
Cette journée d’étude s’adresse à tous ceux qui se questionnent sur les tensions entre l’individu et le « système social » : quels sont les processus de l’exclusion ? Sous quelles formes et par quels moyens exclut-on ? Comment passe-t-on du statut d’intégré à celui de marginal, ou vice versa ? Face à la multiplication et à la complexification des normes, est-on jamais vraiment « exclu » ?
Programme
- Hervé Marchal (professeur de sociologie, uB/LIR3S) : Introduction
Session 1 : Exclure en reléguant : La marginalisation spatiale, une méthode de ségrégation institutionnalisée ?
- Maïwenn Jouquand (doctorante histoire médiévale, uB/ArTeHiS) :
Les juifs du duché de Bourgogne au XIVe siècle : formes et fonctions d’une exclusion normée
Dans le royaume de France, à l’époque médiévale, les communautés juives sont marginalisées. En dehors du corps de la société chrétienne, leur position est marquée par un paradoxe : exclus religieusement, juridiquement et socialement, ils sont néanmoins pleinement intégrés localement par leurs contacts quotidiens avec les chrétiens. Par ailleurs, c’est leur marginalisation progressive, au cours des siècles, qui a conduit à leur conférer une position aussi nécessaire qu’indispensable dans la vie économique du royaume : l’activité de prêt leur est peu à peu reléguée car condamnée par l’Église. Ainsi, c’est cette population d’exclus qui peut, d’un point de vue théologique, assurer ce rôle. Aux deux derniers siècles du Moyen Âge, cette position de « marginaux intégrés » est peu à peu mise à mal par les changements politiques – civilisationnels écrivent certains – qui caractérisent une société en changement. Ainsi, au cours du règne de Philippe le Bel, cette exclusion atteint sa forme paroxystique, celle d’une expulsion générale des juifs du territoire en 1306, la première de cette ampleur. Cette décision est appliquée de manière indépendante mais simultanée dans le duché de Bourgogne ; c’est cet espace qui constitue notre terrain d’observation des différentes formes de l’exclusion des juifs au cours du XIV? siècle. Ainsi, c’est un processus qui s’institutionnalise et prend des formes variées : marginalisation spatiale, confiscations répétées sur ce groupe identifié et, la forme la plus aboutie, l’expulsion du territoire.
- Silvia Valentini (doctorante littérature italienne, uB/TIL) :
Carlo Levi dans l’Italie fasciste. Exclusion politique, identitaire, mythologique
La proposition suivante voudrait se rattacher au premier axe de réflexion (Exclusion institutionnalisée ou « positive »), que l’on entend explorer à travers l’œuvre du peintre et intellectuel italien Carlo Levi (Turin, 1902 – Rome, 1975). Condamné pour son opposition politique au régime fasciste à un confinement dans un village isolé du sud de l’Italie de 1935 à 1936, ensuite – avec l’introductions des lois raciales en Italie en 1938 – coupé de la société en tant que juif et obligé de fuir en France et enfin de se cacher à Florence, dans les années Trente et Quarante, Levi devient l’objet d’une double exclusion de la société à laquelle il avait jusqu’à ce moment appartenu. Grâce à une nature humainement ouverte au monde et aux choses, cette exclusion devient tout de même, de manière inattendue, l’occasion d’une nouvelle identification : celle avec les paysans de Lucanie qu’il rencontre lors de son confinement, condamnés comme lui à être coupés par l’Histoire avec un grand « H », parlant une autre langue et vivant dans un monde où ni le temps linéaire (auquel s’oppose le temps circulaire des saisons), ni le lien de cause et effets entre les choses (auquel s’opposent les mythes et la magie), ni l’Individu (auquel s’oppose le « nous » d’une existence encore entièrement fondée sur un sens fort de communauté) ne sont pas encore arrivés : un monde où le « Christ » – c’est à dire la civilisation occidentale – n’est jamais arrivé car il « s’est arrêté à Eboli » (le dernier village joignable par le train), selon les mots qu’il choisira comme titre de son chef-d’œuvre racontant son expérience de confiné. Précisément cette expérience de séparation radicale devient pour Levi, en effet, le moment d’une découverte poétique sans précédents et le vrai commencement de son activité d’écrivain, lui qui avait été, jusqu’à ce moment, fondamentalement peintre : si les seuls pinceaux ne semblent maintenant plus suffire, il faut leur juxtaposer la parole, comme on peut voir dans un premier moment avec Peur de la liberté (1939, publié en 1946), ensuite avec Le Christ s’est arrêté à Eboli (1945) et avec les livres qui suivront. La contribution ci-proposée voudrait ainsi développer ce parallèle entre l’exclusion de l’auteur et celle des protagonistes de son œuvre (les paysans de Lucanie) pour s’interroger donc, compléments inévitables, sur les notions de « identité » et « appartenance ».
- Discussion – Emma Sutcliffe (doctorante histoire de l’art, uB/LIR3S)
Session 2 : Exclure pour gouverner : L’exclusion politique, un processus inéluctable ?
- Léo Rosell (doctorant histoire contemporaine, uB/LIR3S) :
L’exclusion des ministres communistes du gouvernement en mai 1947
Le 4 mai 1947 – soixante-quinze ans jour pour jour avant cette journée d’études – fut prononcée l’exclusion des ministres communistes du gouvernement Ramadier. Dans un contexte de conflictualité sociale et à l’aube de la guerre froide, la participation des communistes au gouvernement tripartite de la IVe République devenait difficilement conciliable avec les orientations politiques et économiques souhaitées par les autres forces en présence, à savoir la Section française de l’internationale ouvrière (SFIO) et le Mouvement républicain populaire (MRP). Les tensions croissantes entre ces différents acteurs font rapidement éclater l’unanimisme apparent qui les avait réunis pendant la guerre au sein du Conseil national de la Résistance.
L’exclusion des ministres communistes du gouvernement apparaît ainsi dans un premier temps comme un processus aux causes multifactorielles. À la Libération, la participation du Parti communiste au gouvernement est inédite et doit beaucoup au rôle joué par les communistes dans la Résistance. Elle est d’ailleurs remise en cause dès 1946 par la conflictualité sociale du pays, mais aussi par les évolutions du contexte géopolitique. De ce point de vue, une étude comparative de l’exclusion des ministres italiens du gouvernement, en mai 1947 également, pourra enrichir l’analyse du cas français. Dans un second temps, les modalités de cette exclusion peuvent être analysées à la fois à l’échelle individuelle et collective. Si l’exclusion prononcée le 4 mai 1947 touche l’ensemble des ministres communistes et est à ce titre collective, le cas particulier d’Ambroise Croizat, ministre du Travail et de la Sécurité sociale, démontre l’intérêt du détour biographique pour illustrer les modalités de cette exclusion collective à l’échelle individuelle. Les tensions entre l’individu et le « système social » seront alors mises en évidence, en inscrivant cette communication dans une histoire sociale du politique. Les réactions de la part des ministres concernés interrogent également leur conception subjective d’un tel processus, de telle sorte que nous tenterons à notre tour d’évaluer si « la rupture du tripartisme [est] une rupture majeure subjectivement vécue ou perçue comme telle a posteriori » [1]. Enfin, l’évaluation des conséquences de cette exclusion sur la vie politique et sociale de la France de l’après-guerre permettra de s’interroger sur un retour ou non des communistes à la marginalité politique. S’il marque la fin du tripartisme dans la vie politique française, le renvoi du PCF sur les bancs de l’opposition suscite une réorientation stratégique au sein du Parti, d’autant plus que ce processus correspond à l’entrée de la France dans la guerre froide et du PCF dans le Kominform.
[1] Philippe Buton, « Chapitre 15. L’éviction des ministres communistes », dans Serge Berstein et Pierre Milza [dir.], L’année 1947, Paris, Presses de Sciences Po, 1999, p. 339.
- Bertrand Kaczmarek (doctorant philosophie, uB/LIR3S) :
Les « modules respect » en prison : une tentative d’invisibilisation de l’exclusion ?
Afin de relativiser la condamnation de l’anthropophagie, Claude Lévi-Strauss évoque dans Tristes tropiques l’horreur que susciterait, pour les membres des sociétés que nous appelons primitives, notre anthropémie pénitentiaire. Ce terme qu’il construit à partir du grec emein (vomir) désigne la mise à l’écart qui vaut traitement de la transgression dans nos sociétés. Peut-être alors pourrait-il être intéressant de réfléchir le lien paradoxal qui unit norme et exclusion ?
Paradoxal parce que la construction du collectif paraît appeler nécessairement l’éviction de certains. La norme est indispensable pour tracer droit et donc édifier (norma renvoie à l’équerre du maçon), mais elle porte en même temps nécessairement la possibilité de vérifier la rectitude.
Autrement dit, il convient d’essayer de clarifier l’éventuelle existence d’une part irréductible d’exclusion au sein du politique. Cette réalité paraît devenir inadmissible, et le mécanisme le plus répandu pour l’ignorer est la contractualisation : parce qu’en principe librement consenti, il y aurait dans le contrat une moindre norme, voire plus de norme du tout, et donc plus d’exclusion. Mais sous le voile du consentement, l’exclusion semble bien demeurer tout à fait : ce qui change, c’est qu’elle est désormais à la charge de celui qui ne parvient pas à tenir son engagement.
Autrement dit : de même que Michel Foucault évoquait dans Surveiller et punir une honte de punir, nous peinons de plus en plus à assumer la position d’autorité qui édicterait légitimement une norme, et nous privilégions un accord entre parties. Cela nous dédouane de toute culpabilité, puisque l’échec est alors assignable exclusivement à l’individu qui faillit.
La traduction très concrète de ce processus néolibéral est fournie par les « modules de respect », dispositifs mis en place récemment dans quelques prisons françaises, inspirées par l’institution espagnole. Il s’agit de rompre avec la discipline qui s’imposait de l’extérieur aux détenus, pour privilégier une voie d’intériorisation : afin d’obtenir des conditions plus confortables, le détenu s’engage par contrat à respecter telles ou telles dispositions. En cas d’échec, la situation est lue comme un libre choix de sa part, permettant d’imaginer une responsabilité unilatérale.
Mieux connaître ce lien entre norme et exclusion pourrait alors permettre d’une part, de ne pas tenter d’invisibiliser cette dernière, et d’autre part de ne pas renoncer à l’institution d’un véritable commun politique qui est absent de la pénalité française.
- Discussion – Harmonie Mariette (doctorante histoire contemporaine, uB/LIR3S)
Session 3 : Exclure par la norme : La mise à l’écart sociétale, un moyen de discrimination étatique ?
- Biaou-Marcel Oloukoï (doctorant psychologie, uFC/Laboratoire de Psychologie) :
L’enfance abandonnée en Afrique subsaharienne : hors des normes familiales
Être un enfant sans famille en Afrique est une situation paradoxale qui vient bousculer l’ensemble des représentations vulgairement admis autour de l’inclusion de tout enfant dans un ensemble élargi. Cet ensemble est une enveloppe familiale tellement conséquente du point de vue de sa dimension humaine qu’il ne peut être pensé, qu’un enfant même abandonné par ses géniteurs ne puisse trouver des bras accueillants dans les quatre coins de l’étendue familiale. Une réalité moins idyllique que ce tableau social fortement désirable semble correspondre au réel vécu d’une catégorie d’enfant vivant en Afrique subsaharienne. La vie des orphelins et des enfants abandonnés est aux antipodes des représentations véhiculées autour de l’intégration dans la communauté de tout enfant en rupture de lien parental. Amenés à grandir (quand ils n’errent pas dans les rues) dans des institutions d’accueil ou dans des orphelinats, ces enfants sont en marge des logiques socio-affectives locales qui envisagent le terreau familial comme la seule institution capable d’accueillir l’enfant et de soutenir son développement. Il se dessine d’emblée une non-reconnaissance sociale de ces lieux de substitution et le sujet qui y vit est marqué du sceau de la marginalité : enfant sans famille. Comment passe-t-on alors du grand fantasme d’inclusion familiale quasi inébranlable à ce statut complexe d’enfant orphelin ou abandonné dans un contexte subsaharien ? Notre communication envisagera l’orphelin et l’enfant abandonné en Afrique comme un sujet particulier dont le statut (encore flou aujourd’hui), répond non seulement à des pratiques socio-culturelles qui génèrent des exclus, mais également comme le produit des dynamiques sociales actuelles dans ce que leur évolution peut générer comme problématique humaine considérable.
- Gaëtan Mangin (doctorant sociologie, uB/LIR3S) :
La réception des injonctions écolo-mobilitaires en milieu populaire : Entre adhésion, conciliation et résistance – ou quand ceux qui « fument des clopes et roulent au diesel » s’en mêlent
Les enjeux liés à l’habitabilité de la terre ont pris de l’ampleur à mesure que l’humanité est devenue responsable d’une multitude de changements planétaires irréversibles. Nous voici en effet entrés dans l’anthropocène (Fressoz, Bonneuil, 2013), cette ère géologique caractérisée par la mainmise des humains sur leur environnement, et la question de la pérennité des écosystèmes ne cesse de se rappeler à nous. Au fil des rapports alarmistes des instances scientifiques et gouvernementales, en premier lieu desquels le Groupe d’experts intergouvernemental pour le climat (GIEC), l’urgence climatique et les enjeux de préservation de la biodiversité s’intensifient. Ainsi la transition écologique s’est, en quelques années, imposée comme le nouveau mot d’ordre de nos projections communes.
D’un côté, les préoccupations environnementales se sont imposées dans des discours médiatiques et politiques – plus ou moins emprunts de rhétoriques il est vrai. Si l’époque est marquée par la fin des grands récits émancipateurs (Lyotard, 1979), force est de constater que la transition écologique devient le nouveau leitmotiv collectif qui impose de repenser nos manières de produire, de consommer ou encore de nous déplacer et qu’elle est devenue, sinon un thème majeur, du moins un sujet incontournable des échéances électorales. D’un autre côté, la crise écologique s’accompagne de multiples crises d’autres natures mais interdépendantes : crises économiques, sociales, migratoires, mais également crises démocratiques et crises de sens marquent notre époque, participent à faire exploser les inégalités, et semblent fâcheusement promptes à réactiver les penchants les plus sombres des peuples qui vivent des temps de perturbation.
Au regard de ce constat, il nous semble pertinent de questionner le potentiel fédérateur, mais également clivant, de la transition écologique. La crise écologique n’est-elle qu’une crise de plus, ou bien serait-elle un révélateur d’un ensemble d’autres fractures, notamment sociales, économiques et culturelles ? Si l’écologie doit nous rassembler, n’est-ce pas pour l’instant ce qui nous divise ? Quels sont les enjeux de l’inclusion des populations précaires dans la transition ?
Pour tenter d’esquisser une réponse à cette question, nous proposons de poser la focale sur le vécu de la transition mobilitaire par les classes populaires. Nous tenterons, pour reprendre l’expression à fort succès médiatique durant la crise des gilets jaunes, de questionner la possibilité d’une conciliation entre « fin du mois » et « fin du monde » et de savoir s’il existe un mode proprement populaire d’appréhender la transition écologique. À partir d’un terrain de thèse (principalement ici des entretiens et analyses documentaires de journaux) portant sur l’usage et la possession d’automobiles de plus de 20 ans, enrichi d’un terrain (observations et d’entretiens individuels et collectifs) mené dans le cadre du projet Bourgogne Franche-Comté en Transition porté par le Livinglab Territorial pour la Transition sociale et Écologique (LTTE) et la Dreal BFC, nous proposons de poser la focale sur les nouveaux mots d’ordre de la transition mobilitaire afin de dégager la réception des injonctions écologiques en milieu populaire.
Bibliographie
– Fressoz J.-B., Graber F, Locher F., Quenet G. (2014), Introduction à l’histoire de l’environnement, Paris, La Découverte, coll. « Repères Histoire ».
– Lyotard J.-F. (1979), La condition postmoderne, Paris, Éd. de Minuit.
- Discussion – Linda Zuo (doctorante histoire de l’art, uB/LIR3S)
Session 4 : S’exclure : L’auto-exclusion, une revanche stérile ?
- Marco dal Pozzolo (doctorant philosophie, uB/LIR3S) :
Stress et précarité, incorporer l’exclusion sociale
Plusieurs études contemporaines démontrent que les inégalités sociales ont un impact durable et mesurable sur la santé des individus. Parmi les inégalités qui affectent les formes de vie sociale, le précariat produit des effets de marginalisation, de mépris social et une restriction des capacités actives de l’individu.
Si le précariat n’implique pas toujours directement des formes d’exclusion sociale, au sens strict, il est par contre structurellement lié à elle par le sentiment d’anxiété permanente d’être exclu. Cette situation facilite l’émersion du stress chronique, qui dépend de l’incertitude et du manque de reconnaissance sociale, souvent accompagnée émotionnellement par le sentiment de la honte. Les recherches dans la cadre de l’approche PNEI ont montré les effets systémiques du stress chronique sur l’organisme (altérations des cycles endocriniens, impact sur le système nerveux, affaiblissement des défenses immunologiques, facteurs de risque augmenté pour anxiété et dépression), y compris les récentes études en épigénétique qui suggèrent une transmissibilité intergénérationnelle des effets du stress.
Ces aspects nous conduisent à reconsidérer les études en philosophie sociale sur la précarité et sur la non-reconnaissance (qui en est un facteur fondamental), pour les prolonger et les radicaliser dans le sens de l’incorporation, sans pourtant adhérer à une perspective réductionniste. Une théorie de l’incorporation du social et de la normativité vitale, formulée à partir des philosophies de Georges Canguilhem et Maurice Merleau-Ponty, permettra de conceptualiser philosophiquement le stress chronique et de réinterpréter les analyses en philosophie sociale sur la précarité et l’exclusion.
Bibliographie
– Francesco Botticcioli, Epigenetica e psiconeuroendocrinoimmunologia, Milano, Edra, 2014.
– Georges Canguilhem, Le Normal et le pathologique, Paris, Puf, 2013.
– Pierluigi Graziani et Joël Swedsen, Le stress. Émotions et stratégies d’adaptation, Paris, Armand Colin, 2005.
– Axel Honneth, La lutte pour la reconnaissance, Paris, Gallimard, 2013.
– Guillaume Le Blanc, L’invisibilité sociale, Paris, Presse Universitaies, 2009.
– Guillaume Le Blanc, Vies ordinaires vies précaires, Paris, Seuil, 2007.
– Maurice Merleau-Ponty, La structure du comportement, Paris, Puf, 2013.
- Valentine Levacque (doctorante philosophie, uB/LIR3S) :
La facilitation, une pratique reconnaissant l’exclusion ; pour une réversibilité du phénomène ?
À partir de recherches de terrain menées en 2021 et fondées sur la méthode de l’observation lors d’ateliers facilités par le cabinet de conseil Formapart pour une Agence nationale, la communication orale que je souhaiterais proposer se centre sur la question de la possibilité de la réversibilité du phénomène d’exclusion lors de dynamiques collaboratives. Notre travail veut plus précisément saisir comment la facilitation pourrait être un processus qui permet de reconnaitre les exclusions et en quoi il permettrait de participer à une dimension re-constructive du lien social au sein des organisations. Il ressort des analyses que les organisations ne sont elles-mêmes pas toujours conscientes du phénomène d’exclusion en leur sein, ce qui poussent les « exclus » à s’exclure d’autant plus des processus collaboratifs proposés par leur hiérarchie. Cependant, dès lors que l’exclusion est reconnue, il existe des voies permettant de re-construire un lien grâce à un travail en commun encadré, facilité et inclusif, permettant l’aboutissement de la justice sociale au sein des entreprises.
Corpus
– Aristote, Ethique à Nicomaque.
– John Rawls, Théorie de la justice (1971).
– Jürgen Habermas, De l’éthique de la discussion (1985)Jean-Marc Ferry, L’éthique reconstructive (1996).
- Lilia Roustel (doctorante littérature comparée, uFC/CRIT) :
Le Narrateur, entre liberté souterraine et exclusion de soi : la poétique d’une figure de l’exclu dans Carnets de Sous-sol et La Douce de Fiodor Dostoïevski
La Douce , une courte nouvelle que Fiodor Dostoïevski rédige cinq ans avant sa mort en 1881, aborde le problème de l’exclusion de la manière que nous retrouvons déjà dans son autre nouvelle plus ancienne, Les Carnets de sous-sol, parue deux ans avant la publication de Crime et Châtiment.
Initiée sous la forme d’un monologue-confession, la parole solitaire – exclusive dans son caractère ininterrompu mais exclu de tout échange polyphonique – des deux protagonistes dévoile leur identité fortement contradictoire, marquée par l’idée de l’isolement et de la séparation douloureuse avec l’extérieur. Semblables à l’animal kafkaïen, les deux hommes s’enferment dans un espace de vie étriqué qui réconforte leur conscience souterraine perdue entre les principes de l’exclusion et de l’exclusivité, devenant ainsi le seul « terrier » capable d’accueillir efficacement leur discours inaudible.
Si les deux nouvelles troublent son lecteur par des contradictions et paradoxes à perte de vue, elles interrogent surtout l’une des principales ambiguïtés de la notion d’exclusion, qui concerne le positionnement identitaire des personnages face à l’autre et au monde. Ainsi, s’agit-il véritablement des victimes d’une exclusion socio-morale ou bien des narrateurs qui s’excluent sciemment de la société qu’ils désirent réfuter ? En d’autres termes, ne se seraient-ils pas auto exclus avant d’être exclus par un extérieur hostile ? Quel serait alors le rôle des deux personnages féminins qui, tout aussi exclues de la société que les hommes, continuent pourtant d’interagir avec celle-ci ? Dostoïevski, en mettant à l’honneur le principe de l’exclusion, n’exclurait-il pas enfin ceux dont il ne partagerait pas la philosophie de vie, faisant ainsi apparaître, derrière son projet romanesque, une perspective sociétale et idéologique aux forts engagements et convictions personnels ?
- Discussion – Bertrand Kaczmarek (doctorant philosophie, uB/LIR3S)
- Conclusion – Evelyne Hivar (docteure philosophie, uB/LIR3S)