Le populaire comme adjectif – Introduction

Journée dans le cadre de l’atelier « Le populaire comme adjectif »

Programme

  • Vincent Chambarlhac (LIR3S UMR CNRS uB 7366) :
    Introduction

  • Samir Bajric (EA 4178 Centre Pluridisciplinaire Textes et Cultures [CPTC]) :
    Réception et enjeux épistémologiques de l’épithète « populaire » en linguistique

    Le terme populaire investit les sciences du langage aussi bien en diachronie qu’en synchronie. Dès lors, l’analyse linguistique mobilise l’épithète correspondante à divers niveaux. Deux d’entre eux hantent l’histoire des idées linguistiques (diachronie) et la dimension diastratique du phénomène langagier (synchronie).
    La notion de linguistique populaire (allemand : Volkslinguistik ; anglais : folk linguistics) crée une véritable nouveauté dans l’histoire des préoccupations humaines liées à la faculté langagière (du Moyen-Âge jusqu’au début du XIXe siècle) . « De façon provisoire, on peut dire que le domaine de la linguistique populaire comprend tous les énoncés qu’on peut qualifier d’expressions naturelles (c’est-à-dire qui ne viennent pas des représentants de la linguistique comme discipline établie) désignant ou se référant à des phénomènes langagiers fonctionnant au niveau de la méta-communication » (E. Berkle dans S.  Auroux, 1989, p. 39). L’histoire des idées linguistiques devrait, dans sa partie préliminaire, rendre hommage à cet « éveil de la conscience linguistique » qui fut « stimulé par des contacts avec des locuteurs étrangers, par l’existence et la reconnaissance d’un clivage dialectal au sein d’une communauté de langue ou par une orientation particulière de cette curiosité désintéressée que l’homme porte spontanément à lui-même et au monde qui l’entoure » (R.H. Robins, 1976, p. 9). Le rôle de la linguistique populaire ancienne est donc très étroitement lié à l’éternelle recherche du « caché ». Ce qui est « caché » fait partie de la nature, de la réalité extra-linguistique. Par conséquent, cette dimension de la langue devient l’objet de réceptions collectives de (A. Borst, 1963, R.H. Robins, 1967, D. Hymes, 1974, R. Bugarski, 1984).
    Quant à la théorie linguistique, elle intègre l’épithète populaire dans le cadre des études portant sur les niveaux (registres) de langue (sphères diastratiques). C’est ainsi qu’on parle de niveau populaire (ou familier, ou, ce qui est plus symptomatique encore : niveau bas ; allemand : Umgangssprache) d’un énoncé. Ce dernier coexiste avec les niveaux vulgaire, moyen et soutenu. C’est ainsi qu’en sémantique, tout lexème cesse d’être prisonnier du domaine puissanciel (propriété de la langue en tant que système), dès lors qu’il s’approprie un sens (un sème) en discours, lequel discours constitue ipso facto le foyer naturel de la signification populaire (O. Soutet, 1995, S. Bajric, 2013).

  • Vincent Chambarlhac (LIR3S UMR CNRS uB 7366) :
    « Populaire », une ritournelle d’historien chiffonnier ?


    L’épithète « populaire » qualifie moins un objet qu’il ne caractérise une relation, une distance. en somme, à l’image des goguettes du XIXe siècle, il s’agit de passer la barrière (Rancière) pour rencontrer le « populaire », soit l’adjectif substantivé. L’interrogation de cette distance, de cette ligne de fuite impliquerait la figure du chiffonnier, celui qui se tient aux bornes. appliqué aux historiens, cette figure emprunte autant à Walter Benjamin qu’aux Arts de faire de Michel de Certeau. Pour autant, supposer que l’épithète est distance et mise en relation implique moins une pratique de l’histoire à rebrousse-poil, soit le renversement d’une histoire d’en bas, il convoque une épistémologie des marges qui emprunte à la micro-histoire, convoque le jeu d’échelles à parcourir plus que le renversement de perspective.

 Voir la vidéo des interventions de Samir Bajric et Vincent Chambarlhac

Discussions

  • Julien Hage (DICEN, Université Paris Ouest-Nanterre) :
    Éditorialiser le populaire ? Archives, documents, récits : ressorts d’une mise en ordre médiatique et savante

    Si le populaire serait encore un « no man’s land et non-lieu de recherche » pour les historiens aujourd’hui (D. Kalifa, 2005), en revanche il s’est constitué aujourd’hui en genre éditorial et en signe marketing d’écritures et de focales historiennes posées comme alternatives ou critiques (E. Ruiz, 2020), tandis que l’influence des subaltern studies tendait à relégitimer les objets d’une histoire « par le bas ». Traversant tout le champ médiatique, l’insaisissable « populaire », compte bien pourtant ses archives ; leur corpus n’échappe pas à la formalisation constante par les usages des instances politiques et militantes, comme à une sélective patrimonialisation qui renverse leur illégitimité supposée. Comment s’ordonnent dans le contemporain les objets et les sources du populaire, à l’heure du numérique ? Bien loin d’une radicale autonomie telle que posée par Bakhtine, dans ses modes d’appropriation contemporains, « la culture populaire est une catégorie savante » (R. Chartier, 1996). Questionner les usages de ce processus d’éditorialisation dans la culture médiatique tient tout à la fois de l’étude de la recontextualisation, de la domestication et d’une mise en forme et en récit préalables de la matière dite « populaire ». Elles ordonnent en effet, bien loin du mythe d’« archives populaires » virginales et de lectures positivistes, nos approches du populaire, en mettant en abyme les pratiques documentaires savantes.

  • Frédéric Thomas (Centre tricontinental, Louvain-la-Neuve, Belgique) :
    Refrains niais, rythmes naïfs. Littérature industrielle et dérèglement des règles de l’art

    Les emprunts des artistes aux œuvres de l’« esthétique populaire » ont été sévèrement jugés – et largement disqualifiés – par les thèses bourdieusiennes. Marqueur d’un rapport de classement et de distinction, il s’agirait d’une captation qui redouble en quelque sorte la légitimité culturelle des classes dominantes. Cette lecture soulève une série de problèmes que je me propose de mettre en lumière à partir d’un triple point de basculement. La Commune de Paris constitue un moment intense de dérèglement des « règles de l’art ». Au lendemain de son écrasement, la place et le rôle du roman populaire sont âprement débattus. Je m’intéresserai plus particulièrement à la « littérature industrielle », en ce qu’elle est doublement dénigrée : parce que « marchande » et « populaire ». Et j’interrogerai les rapports ambivalents qu’entretiennent avec celle-ci, ainsi que les détournements qu’ils opèrent, Rimbaud et, à sa suite, les surréalistes. Sous ce triple angle, j’entends questionner non seulement la situation et les enjeux des luttes symboliques autour de cette expression de l”esthétique populaire”, mais aussi une certaine épistémologie sociologique.

  • Bertrand Tillier  (Centre d’histoire du XIXe siècle, Université Paris 1 Panthéon Sorbonne) :
    La carte postale à la Belle époque, culture de masse et sujets populaires

    En dépit d’une grande disparité de tirages (entre quelques dizaines et plusieurs milliers d’exemplaires) et de modes de consommation très variés – de la correspondance au collectionnisme –, la carte postale photographique s’est imposée, dès la Belle Époque, comme une mise en images du monde et un inventaire du réel. Photographes et éditeurs ont ainsi massivement enregistré et diffusé des vues de paysages, de monuments, d’œuvres d’art, d’événements, de personnes et de lieux en tous genres. En mettant en scène des petits métiers et des figures pittoresques, la vie rurale et le monde ouvrier, la carte postale n’a-t-elle pas forgé une catégorie de sujets populaires ? Cette fabrique du “populaire” implique des regards qui sont des constructions et des imaginaires qu’on examinera, de même que leurs usages et leurs destinataires constituant une culture.

Discussions et conclusions

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